mercredi 28 novembre 2018

Montagne d’or : au mépris des hommes

Pendant que Macron nous taxe pour une soi-disant transition écologique, il donne son accord pour l'exploitation de l'or en Guyane qui détruira 1 500 hectares de forêt amazonienne, dont près de 600 de forêt primaire sans compter l’utilisation de 57 000 tonnes d’explosifs, de 142 millions de tonnes de fioul, de 46 000 tonnes de cyanure....

« La réaction de l’or en fonction d’événements géopolitiques est en train de réémerger », vient de déclarer un analyste de la banque Citygroup, faisant allusion à la remontée des cours du métal jaune chez les spéculateurs professionnels, en cette période de guerre commerciale entre États capitalistes.

Cette remontée des cours vient sans doute à point nommé renforcer les arguments des partisans de la Montagne d’or, ce projet d’extraction d’une mine aurifère dans l’ouest de la Guyane. Ce projet est présenté par la CMO, la Compagnie minière Montagne d’or, coentreprise entre la société russe Nordgold et la firme canadienne Colombus Gold, et soutenu par Macron, ministre de l’Économie puis président. Ses promoteurs capitalistes en espèrent l’extraction de 85 tonnes d’or, l’équivalent de trois milliards d’euros. Ils clament que le projet, soumis prochainement à l’accord du gouvernement, créera 750 emplois censés durer douze ans, dont 90 % attribués à des habitants guyanais. Dans une collectivité où ils sont pour 40 % au chômage, l’argument du développement est bien le seul qui ait une chance de toucher la population.

Car pour le reste, « l’impact écologique réduit au maximum » dont se targue le président de la CMO est catastrophique. 1 500 hectares de forêt amazonienne détruits, dont près de 600 de forêt primaire ; l’utilisation de 57 000 tonnes d’explosifs, de 142 millions de tonnes de fioul, de 46 000 tonnes de cyanure dans le processus de récupération du métal par lixiviation…

Tout dans cette énumération est fait pour inquiéter la population riveraine, en particulier les peuples autochtones qui vivent en forêt. L’engagement du président de la CMO de « réhabiliter après exploitation », en replantant quelques sapins et en cachant les gravats sous le tapis, ferait sourire s’il ne témoignait pas d’un total mépris pour les femmes, les hommes et leur environnement.


Tous les arguments les plus fallacieux sont alignés : le procédé d’extraction au cyanure serait beaucoup plus « propre » que l’usage du mercure, d’ailleurs la CMO n’a-t-elle pas adhéré tout récemment au Code international du cyanure, à la demande des autorités étatiques ? Des témoignages consternants venus du Brésil où cette technique a été mise en œuvre sont venus apporter la contradiction. L’exploitation industrielle de la mine aurifère mettrait fin à l’orpaillage clandestin, beaucoup plus destructeur, selon la CMO… qui orpaillerait à grande échelle.

Peu importe à ces prédateurs l’opposition d’une grande partie de la population : ils n’ont même pas daigné venir rencontrer les chefs coutumiers lors d’un des débats organisés officiellement au printemps avant la prise de décision. Ils ne connaissent que trop bien l’opinion des riverains et des associations pour la défense de l’environnement. Ces derniers, à juste titre, ne veulent pas voir leur santé, celle de leurs enfants et celle de leur terre, sacrifiée pour tout l’or du monde… et l’enrichissement spéculatif des banquiers.


Viviane LAFONT
14 novembre 2018 LUTTE OUVRIÈRE

jeudi 22 novembre 2018

Nou tout là, ansanm ansanm é solidè !


Appel à rassemblement citoyen et unitaire, samedi 24 novembre 2018, de 10h à midi, place du marché aux épices à Pointe-à-Pitre, pour manifester notre solidarité envers toutes les femmes et filles victimes de violences, agressions, harcèlements, humiliations, chantages, inceste... en Guadeloupe. 


À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes et filles, venez manifester votre solidarité et votre implication en portant du blanc, samedi matin. À midi nous entamerons une marche pacifique vers le Mémorial Acte, pour rendre hommage à toutes celles qui ont souffert et celles qui sont encore maltraitées aujourd'hui, pour porter la voix !!! Faites passer. Tout moun pé vini, fanm et nonm, depwi ou pé ba Nou on fos ! Et dimanche 25, pensez à porter du blanc, et à parler du sujet, où que vous soyez ! Nou tout là !!!

Stéphanie  Mulot

dimanche 18 novembre 2018

Indifférents, blasés, dépités, repus, déçus… : Que sommes-nous devenus ?

Dans la société française, en ce moment, une grande partie de la population exprime son ras le bol des politiques publiques proposées par le gouvernement. Le mouvement des « gilets jaunes » en est une des plus récentes manifestations. La colère monte, la grogne se fait de plus en plus ressentir et les réseaux sociaux se font l’écho de toutes les misères et désespoirs que les médias officiels ne montrent pas.  La Martinique, belle région française, n’est pas en reste. Ces politiques publiques nous sont appliquées comme toutes les autres au nom de l’égalité réelle et de l’assimilation législative voulue par nos élus. Cette application ne se fait pas sans les mêmes dégâts, aggravés dans notre contexte martiniquais.

Indifférents ? 

S’il est un point où l’égalité des territoires se réalise, c’est dans les difficultés liées aux décisions gouvernementales : 
Hausse effrénée du carburant que nous importons de la mer du Nord, pourtant nous sommes dans un bassin géographique producteur de pétrole

Diminution des retraites, néanmoins il nous est répété que la Martinique est en passe de devenir la plus vieille région de France et que sa population décroit à une vitesse vertigineuse

Suppression de l’abattement fiscal et des 40% des fonctionnaires, qui touche bien plus de personnes que les 4% annoncés, les fonctionnaires constituant une grosse part de la classe moyenne et donc non-éligibles à un dispositif d’aide. Pourtant il est de notoriété publique que la France est le mauvais élève de l’Europe en matière de justice fiscale et que l’évasion fiscale est au cœur des manques de recettes. 

Suppression de l’encadrement dans les institutions éducatives, tant dans la formation initiale que dans l’encadrement périscolaire, renforçant ainsi la précarité alors qu’on ne cesse dans le même temps de critiquer la jeunesse pour ses manquements.

Sur le territoire français, la protestation s’organise et les initiatives s’enchaînent. Pétitions, appels au blocage, actions symboliques… le sentiment de colère grandit et pousse un grand nombre d’individus à l’action. Chez nous, la réalité est toute autre. L’actualité s’est figée entre deux dilemmes : rhum ou vin, bonjour ou juron !!!

Blasé ? 

Nos élus, chargés de porter nos voix au niveau national et qui comme les autres émargent aux fonds publics, font leur travail, figés néanmoins dans la dénonciation ou la revendication souvent dans des modes désuets et sans grand impact. Nous nous plaisons à partager leurs plus belles interventions mesurant à cette occasion quel poulain fera le buzz. Nous en sommes encore à nous contenter de nous réjouir des envolées lyriques ou poétiques de celui-ci ou celle-là, sans véritablement pouvoir en mesurer l’efficacité, comme si la politique se limitait encore aujourd’hui seulement à l’art du verbe, comme si la faculté de pouvoir enrober les idées d’un bel emballage suffisait pour éluder la réelle substance du discours.

Traumatisés ? 

Avons-nous perdu la foi dans l'utilité de la mobilisation ? Sommes-nous trop éloignés des centres de décision et convaincus de ne pas être en capacité de compter et encore moins de peser dans les décisions ou dans les solutions ? La grève de février 2009 plane encore sur les esprits y laissant même un relent de traumatisme. Tant de souffrance, de casse d’entreprises, pour finalement discuter de la baisse du prix du pot de Nutella !!!  Ce mouvement a eu pour effet de renforcer chez les Martinique ce sentiment de « peur de manquer » hérité du temps de l’amiral Robert, et régulièrement entretenu par les événements climatiques. Notre réflexe face à cette peur est à l’origine des queues interminables dans les stations-services et de la prise d’assaut des supermarchés à la moindre alerte météorologique ou sociale. 

Ce sentiment s’est renforcé par les trois semaines de la légitime grève de septembre 2017 contre la suppression des contrats aidés. La mobilisation dans la durée était principalement constituée de fonctionnaires pour lesquels aucun jour de grève n'a été prélevé. Le résultat a consisté à faire perdurer un système de précarité et d’injustice sociale. Précarité s’illustrant par un salaire de 637,38 euros pour 20 heures hebdomadaires de travail réel, incontournable, indispensable, effectuées dans le cadre de contrats de dix mois.  Autrement dit, pas de salaire en juillet et en août. Aucune possibilité n’est donnée à ces personnes, malgré leur bonne volonté, d’effectuer une heure de plus dans la perspective d’augmenter leurs revenus. Il y avait pourtant là une véritable opportunité de tenter de changer un système.

Méfiants ? 

Le silence d'aujourd'hui n’est rien d’autre que le prolongement de l'abstention électorale, et l'apparente douceur de vivre en Martinique laisse plutôt penser à une forme de résignation. S’il est vrai qu’à l’instar d’Emile Maurice et d’Aimé Césaire certains hommes ont été pour la Martinique de véritables visionnaires et des bâtisseurs inspirants, ce silence pourrait alors traduire la déception des martiniquais due à l’excès de confiance qu’ils avaient placés dans leurs successeurs, Alfred Marie-Jeanne, Serge Letchimy, Claude Lise, etc… 
Les obédiences politiques, en manque d’inspiration et de propositions, ont accéléré la disparition des clivages pour laisser place à des regroupements d’idées et de propositions sur la base de contrat de gestion, faisant de la politique et de l’avenir de notre société une affaire de comptabilité. Tous ces rassemblements hétéroclites depuis 2010 pour la conquête du pouvoir pour le pouvoir ont fait des hommes politiques des gestionnaires. Les valeurs républicaines, humaines, sont foulées aux pieds pour le pouvoir à tout prix. Il y a eu tellement d’outrages fait à la politique que les idéologies n'ont plus de sens.

Sortir de la bipolarisation de la vie politique

La bipolarisation de la vie politique locale est omniprésente. A la moindre intervention, réflexion, le fichage est effectué et l’auteur catalogué. On est obligatoirement pour l’un ou contre l’autre, aucune place pour l’existence d’une quelconque expression émanant de la société civile. Certains médias ont d’ailleurs pour mission d’adouber ou de crucifier le premier qui bouge, pourfendeurs de toutes pensées qui ne seraient pas dans le sens de ce qu’ils ont pour mission de propager. Loin d’être des guerriers d’une cause ou d’une idéologie, ils se font soldats d’un pseudo militantisme, mais en réalité à la solde de leur mandant en attente de quelque provende qu’ils pourraient en retirer.
Une option salutaire, miser sur la jeunesse

La défiance citoyenne au regard de l’autorité publique, le manque de confiance, le manque de crédibilité des élus pourraient nous laisser penser que la démocratie représentative est arrivée à bout de ce qu’elle pourrait proposer aux organisations humaines pour se développer dans le respect des libertés fondamentales et des droits de l’homme. 

La démocratie participative, par la place plus grande qu’elle fait à l’expression des citoyens, semble répondre à leurs aspirations, encore faut-il qu’elle puisse être réellement organisée et contrôlée par eux-mêmes. En ce sens, le changement du mode de scrutin s’avère être indispensable pour que les élus d’une liste ne soient plus tous redevables qu’à la seule tête de liste. En outre, c’est en plus une garantie pour la représentativité territoriale effective et un réel contre pouvoir. 

Pour aller plus loin on peut se référer l’excellente contribution d’Yves Léopold Monthieux 

S’il est vrai que les outils institutionnels dont s’est dotée la Martinique constituent une véritable avancée pour faire évoluer le système, la réalité politique est tout autre, avec des gouvernants relevant tant des mairies, que de la CTM, des EPCI ou encore des parlementaires, dont la sédentarisation au pouvoir, la vision, les modes de pensée et de démarches de résolution de problèmes sont loin des aspirations de la majorité du pays à savoir la jeunesse. Plus généralement, si l’on veut réconcilier le citoyen et la politique dans l’intérêt supérieur de la Martinique, progresser à réformer le système actuel semble être un impératif. La solution pourrait passer par le changement du personnel politique, oser, et accepter de laisser la place aux jeunes pour aller jusqu’au bout de l’innovation et espérer un véritable changement, et ainsi permettre aux aînés de jouer leur rôle de transmetteur en les accompagnant, et assurer leur formation politique. Il faut cesser cette instrumentalisation qui consiste à placer quelques jeunes sur une liste pour se donner bonne conscience.

Il faut surtout pouvoir donner à ce pays un nouvel élan car la préoccupation des martiniquais n’est pas tant d’aller aux urnes mais de pouvoir vivre décemment, et dignement. Cette condition ne sera réunie que dans un pays ou le personnel politique joue la carte de la transmission en favorisant l’accession des jeunes au pouvoir. De mieux en mieux formés, ce sont eux qui possèdent aujourd’hui les clés pour apporter une véritable plus-value non seulement politique, mais surtout économique.

Indifférents, blasés, dépités, repus, déçus, nous sommes peut-être un peu de tout cela, mais nous sommes surtout de plus en plus étrangers au destin de notre pays et la seule chance de nous en sortir est de réinventer le système.
Ni première, ni deuxième et encore moins une troisième voie, il faut un big bang, une révolution, un nouveau 22 mai 1848…?

Jeff Lafontaine/18 novembre 2018