La quantité de glucides contenus dans des produits laitiers vendus sous le même nom peut varier du simple au double, selon qu’ils sont commercialisés en métropole ou bien outre-mer.
Tel est le constat effectué parle cardiologue André Atallah, également conseiller régional (PS) de Guadeloupe, constat à l’origine d’une proposition de loi déposée par Victorin Lurel (PS, Guadeloupe) et 102 autres députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Le texte vise « à prohiber la différence de taux de sucre entre les compositions des produits manufacturés et vendus dans les régions d’outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l’Hexagone ».
Tout est parti d’une intuition du docteur Atallah, survenue lors de vacances passées en métropole, après qu’il eut mangé un yaourt. « J’ai trouvé qu’il existait une nette différence de goût entre le même yaourt, selon qu’il était acheté en métropole ou à la Guadeloupe, raconte-t-il. De retour chez moi,j’ai demandé à une nutritionniste travaillant à Nantes d’effectuer des mesures comparatives. »
Les résultats se sont révélés édifiants : 8,4 grammes de glucides dans un pot de yaourt « nature sans sucre » Yoplait vendu à la Guadeloupe, contre 3,7 g pour le même acheté en métropole ; 12,5 g de glucides dans 100g de Petit Gervais aux fruits, spécialité laitière commercialisée par le groupe Danone, dans l’Hexagone, contre 17,2 g aux Antilles. « Un enfant ultra-marin consommant un yaourt par jour recevra 16 kilocalories de plus par jour qu’un enfant métropolitain, ce qui correspond, par cette simple consommation, à une prise de poids supplémentaire de 0,5 à 1 kg par an », a déclaré Victorin Lurel, par ailleurs président du conseil régional de Guadeloupe, en présentant le texte de loi, qui devrait être examiné d’ici à la fin de l’année, dans le cadre d’une niche parlementaire du PS.
Le lien entre consommation de glucides – notamment de sucres – et phénomènes de surpoids ou d’obésité est connu. Pour mieux mesurer la prévalence de l’obésité dans les départements et collectivités d’outre-mer, l’association Action du groupe de recherche ultra-marine (Agrum), qui regroupe des médecins, a conduit une enquête auprès de 5600 Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais ou Polynésiens.
« L’importance de la prévalence de l’obésité se trouve confirmée chez l’enfant comme chez l’adulte, mais aussi l’augmentation de son incidence, alors que le phénomène commence à s’infléchir depuis quelques années chez les enfants de métropole », constate André Atallah, secrétaire d’Agrum. En Polynésie, territoire le plus touché, le surpoids ou l’obésité concernent ainsi 32,1% des enfants et 67,4% des adultes, contre respectivement 18% et 46,5% en métropole. Autre constat de l’enquête : 30% des personnes en surpoids ou obèses (dont le rapport entre le poids et la taille au carré est supérieur à 25) déclarent considérer avoir un poids normal.
Pour lutter contre le phénomène, la proposition de loi suggère d’ajouter un article au code de la santé publique. Cet article imposerait qu’un « produit alimentaire de consommation courante » commercialisé outre-mer ne pourrait pas « contenir davantage de sucre que le même produit de même marque vendu en France hexagonale ». Il prévoit également qu’« un arrêté du ministre chargé de la santé fixe, après avis du Haut Conseil de la santé publique, la teneur maximale en sucres des boissons non alcoolisées et des spécialités laitières distribuées exclusivement dans les régions d’outre-mer ». Sont notamment visés des sodas fabriqués localement.
Le conditionnement et la commercialisation outre-mer de leurs produits sont fréquemment sous- traités parles groupes agroalimentaires. Aux Antilles, ce sont ainsi deux entreprises locales appartenant à la famille Huygues Despointes qui exploitent la licence Yoplait.
« Les industriels interrogés se contentent de répondre que les jeunes d’outre-mer préfèrent les produits les plus sucrés et que s’ils devaient baisser la teneur en sucre de leurs produits, ce sont leurs concurrents qui en bénéficieraient », assure Victorin Lurel. Les entreprises contactées par Le Monde, en métropole ou aux Antilles, n’ont pas souhaité s’exprimer.
Le docteur Atallah ne conteste pas qu’il puisse exister chez les ultra-marins un goût particulier pour les aliments sucrés, peut-être lié à la culture de la canne à sucre, encore qu’il n’existe « aucun argument scientifique » pour étayer cela. « Mais quand le mode de vie se sédentarise, il faut faire évoluer les habitudes alimentaires, estime-t-il. Or quand on donne très tôt aux enfants le goût du sucre, il devient extrêmement difficile de revenir en arrière. »
Gilles van Kote | Le Monde | 24 juillet 2011