mercredi 26 juillet 2017

De la violence et de l’exil des jeunes antillais

 
photo : Evariste Zephyrin

La Guadeloupe est en crise et la Martinique n’avance pas car elle est en panne : Nos régions se vident de leurs forces vives , nos villes débordent de manifestations quotidiennes de violence et notre cohésion sociale est mise à mal .La crise sociétale actuelle en Guadeloupe et la crise larvée en Martinique mettent en lumière un phénomène préoccupant : l’exil des jeunes diplômés couplé avec la délinquance d’autres jeunes restés au Pays . Avec cette crise de société , c’est un fait, de plus en plus de jeunes sont tentés par la délinquance et l’oisiveté alors que d’autres préfèrent aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Depuis les années 2000, l’expatriation des Guadeloupéens et Martiniquais est ainsi en croissance régulière, de l’ordre de 5 à 6% chaque année . La première des grilles d’analyses relève de la sphère économique. Nos pays respectifs ont incontestablement une difficulté avec leur jeunesse.La faute est à cet exode des jeunes qui a commencé au milieu du 20e siècle avec le BUMIDOM et qui s’est poursuivi pendant les années de crise avec nos jeunes qualifiés .La crise économique encourage-t-elle un essor de la violence ,une progression de l’émigration, une fuite des cerveaux ?….Ils sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance à l’étranger. En cinq ans, le nombre de jeunes Guadeloupéens et Martiniquais partis à l’étranger a quadruplé . Cette année, les quotas pour travailler au Canada ont été épuisés en quelques heures. Soif de voyages, lassitude de la sinistrose ambiante, manque d’opportunités professionnelles ?
Qu’est-ce qui pousse les jeunes Antillais à s’expatrier ? 
Et que dit ce phénomène de société ? …. 

Car notre histoire ne ressemble à aucune autre, il n’y a que nous qui pouvons en parler et trouver les mots justes. Ceux qui vont nous permettre de déloger ce qui, en nous, ne peut encore se dire, et qui pourtant doit se dire, et parfois même se crier, pour que nous nous libérions de ce déni de réalité qui nous empêche de vivre, aussi sereinement, aussi pleinement, que nous pourrions le faire s’il n’y avait pas cette boule dans la gorge, dans le ventre… ce questionnement sur l’exil forcée de nos jeunes… cette tristesse ou cette colère… cette déchirure… et cette plainte des parents esseulés dont on entend le chant lointain. L’un de ces parents dont tous les enfants diplômés de l’enseignement supérieur, Georges M. 67 ans qui vit aux Abymes, semble abattu : " je comptais sur mes trois enfants pour m’aider dans mes vieux jours. Mais ils ont préféré aller étudier ainsi que travailler en France et abandonner la terre de leur aïeul."

L’Avenir est ailleurs car on a beaucoup présenté l’expatriation des jeunes comme la fuite des cerveaux face à une société malade …..Si les jeunes plient bagages, c’est avant tout parce que rien n’est fait pour les retenir. Non seulement le gouvernement n’essaye pas d’éviter la fuite des cerveaux, mais il la stimule pour faire baisser l’indice du chômage en Guadeloupe et Martinique de manière à laisser penser que ses mesures fonctionnent.

Après la violence de certains jeunes au pays , faut-il s’inquiéter de la « fuite » des jeunes diplômés en France et à l’étranger ?

Pour ce qui nous concerne , nous estimons qu’il est plus que temps de se pencher sur le départ des jeunes en France et à l’étranger et ses conséquences !
Nous sommes déja sur le qui vive avec la violence accrue des jeunes qui s’entretuent au pays , mais, le plus préoccupant est l’exil des jeunes diplômés. 88% d’entre eux envisagent leur avenir professionnel en France et à l’étranger.
Sur le plan humain, on ne peut que constater que le pic de l’exil des jeunes guadeloupéens et martiniquais à l’étranger n’est pas atteint.

– Patrick a réussi une école de commerce après une prépa en Martinique , il a 26 ans: voici près de deux ans qu’il travaille dans la finance à New-York.
– Claire , une jeune martiniquaise a terminé un master de gestion, elle a 24 ans: voici près d’un an qu’elle travaille pour une entreprise au Brésil.

– Loic a lutté pour parvenir au statut d’ingénieur: venu d’un quartier de Pointe à Pitre , il est désormais installé en Australie dans le secteur de l’aéronautique.
– Jean-Michel a décroché son diplôme de master en droit international : plutôt que de continuer la «galère «en Guadeloupe , il a rejoint Shanghai et trouvé une place dans une entreprise de commerce textile.

Quatre exemples pris parmi des milliers qui dessinent les quatre côtés de ce carré complexe que l’on nomme expatriation des jeunes Antillais et parfois, de manière plus connoté, exil.

Cette tendance au départ, conjuguée à la hausse persistante du taux de chômage et aux prévisions d’une récession économique sans fin, conforte un discours pessimiste sur la fuite des cerveaux. Déjà, les comparaisons fusent avec les vagues d’émigration qui ont marqué l’histoire de la Guadeloupe et de la Martinique dans les années 1960. La différence tiendrait juste au fait que la «nouvelle émigration des jeunes » concerne une génération qui ne part pas occuper des chantiers , des emplois subalternes à la poste , à la mairie de Paris , dans l’administration centrale ou à l’hôpital , mais des laboratoires scientifiques ,des gestionnaires dans les grandes entreprises , des postes de médecins spécialistes , des ingénieurs et des cabinets d’architectes ou d’avocats .

La France propose parfois un emploi, là où d’autres pays façonnent une carrière. Tel est le défi. Toute une génération doit à présent choisir entre chômage, précarité et exil.Ces jeunes reviendront-ils? Les témoignages traduisent à la fois le désir et l’impossibilité de retourner aux Antilles tant que la situation économique ne s’améliorera pas. Or combien de temps mettra nos pays à sortir du marasme économique et de l’impasse sociologique de l’assistanat ?
Envie de travailler tout de suite et d’être reconnu ( tentation de l’hubris ), perspectives d’évolution professionnelle, changement de vie , sont les trois grandes clefs explicatives de l’exil des jeunes. Du côté des motivations « négatives » qui incitent à quitter la Guadeloupe ou la Martinique , il y a évidemment le contexte économique. Le manque de perspectives professionnelles, notamment pour les jeunes plus durement touchés par le chômage, le sentiment d’être discriminé dans son propre pays, de ne pas y trouver sa place, encouragent forcément les jeunes diplômés à s’expatrier. L’augmentation des flux migratoires vers la France hexagonale correspond à des périodes où la mobilité a été facilitée par des organismes successifs. D’abord avec la création du Bumidom (organisme chargé d’accompagner l’émigration des habitants des départements d’outre-mer vers la France métropolitaine), puis finalement avec le dispositif de l’ANT qui remplacera le Bumidom afin d’aider les résidents de l’outre-mer cherchant une qualification ou une insertion professionnelle ailleurs.L’expatrié d’aujourd’hui n’a plus rien à voir non plus avec le jeune sans qualification du BUMIDOM d’antan. Le vrai changement réside dans le profil des expatriés d’aujourd’hui. Ils sont plus qualifiés, encouragés dès leurs études par des programmes de mobilité européens comme Erasmus à « aller voir du pays ». Conséquence, ils partent aussi plus longtemps : en 2015 , 38% des séjours d’expatriation durent plus de 10 ans, c’est 10% de plus qu’en 2005. Et ils ne savent pas forcément s’ils vont revenir en Guadeloupe et Martinique un jour. 33% affirment qu’ils ne reviendront« jamais » en dépit des mesures financières incitatives au retour prises par l’ex région de Martinique et près d’un expatrié sur deux ne sait pas encore quand le retour aura lieu.
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de cadres formés et d’étudiants qui partent à l’étranger, et pas seulement pour enrichir leur curriculum vitae. Ils partent pour chercher un emploi bien rémunéré . Pourquoi un tel phénomène qui s’est fortement accentué depuis les années 2000 ?

On est en situation d’exode massif . l’INSEE montre ainsi qu’en 2015, ils étaient ainsi 30000 étudiants guadeloupéens installés en métropole. On note que le taux d’emploi des guadeloupéens vivant dans l’Hexagone et ayant entre 15 et 64 ans, est de 78 %. Ce même taux est de 64% pour les natifs métropolitains résidant en France métropolitaine et de 52 % pour la population vivant à la Guadeloupe.
Cette donnée est probablement l’une des raisons qui poussent les Guadeloupéens à quitter leur île natale. A l’heure où le chômage touche 26 % de la population active, dont 60% des jeunes actifs, la mobilité est vue comme une opportunité. A titre d’exemple, le nombre de jeunes guadeloupéens qui ont quitté leur pays a progressé de 70 % en trois ans.

En ce qui concerne la Guadeloupe, ils sont environ 200 000 natifs de l’île à résider dans l’Hexagone, soit à peu près un Guadeloupéen sur deux . « On remarque que la population guadeloupéenne installée en métropole concerne aussi bien les hommes que les femmes. Il s’agit d’une population concentrée entre 20 et 50 ans, c’est-à-dire une population en âge de travailler », souligne l’INSEE.

Avec une population qui diminue dans deux communes sur trois, la Martinique est la région française qui perd le plus d’habitants entre 2008 et 2013, devant le Limousin, seule autre région à connaître une baisse de sa population. Plusieurs facteurs expliquent cette baisse selon l’INSEE.

Dans les autres DOM, la population stagne en Guadeloupe, augmente à La Réunion (+ 0,7 %/an) et en Guyane (+ 2,2 %/an : région française la plus dynamique). Les communes du centre et du nord de Martinique sont les plus touchées par le manque de dynamisme. Fort-de-France, commune la plus peuplée, est également celle qui perd le plus d’habitants (– 4 800). A contrario, les communes de la côte sud caribéenne continuent à gagner des habitants.
La diminution de la population en Martinique entre 2008 et 2013 s’explique par son solde migratoire déficitaire. En ne prenant en compte que le solde apparent des entrées-sorties, la Martinique aurait perdu 1,1 % de ses habitants par an, soit 22 500 habitants en 5 ans. Si le solde migratoire est déficitaire depuis le début des années 90, il s’est fortement accentué depuis le milieu des années 2000.

Sous le seul effet des migrations, la Martinique perd 4 500 habitants par an entre 2008 et 2013, contre – 1 100 habitants par an entre 1990 et 2008.
Concernant la Guadeloupe, seule la tranche d’âge des 15 à 29 ans contribue au déficit du solde migratoire. Sur la période de 2003 à 2008, un départ sur trois est effectué par un jeune âgé de 15 à 24 ans contre une arrivée sur dix. Ceux-ci partent pour suivre des études ou démarrer leur vie professionnelle dans l’hexagone. Les arrivées, plus nombreuses que les départs à partir de 30 ans, ne permettent pas de compenser le déficit de la jeune génération. Les départs des natifs de Guadeloupe forment la composante principale du déficit migratoire du territoire.

Les nombreuses sorties du territoire des jeunes antillais expliquent la majeure partie du déficit migratoire.En Guadeloupe, le solde des départs et des arrivées est négatif jusqu’à 33 ans et particulièrement marqué entre 18 et 25 ans. Les retours s’amorcent dès 25 ans mais ne deviennent plus nombreux que les sorties qu’à partir de 34 ans.

L’excédent est le plus fort après 60 ans, lors des retours des retraités, même s’il ne permet pas de compenser le déficit des jeunes générations. Toutefois, ce déficit est en partie atténué par le flux migratoire des personnes nées hors de Guadeloupe qui est globalement positif. Les arrivées de jeunes actifs de 25 ans et plus accompagnés de leurs jeunes enfants en constituent la principale composante. À partir de 45 ans, les flux migratoires des non-natifs de Guadeloupe s’atténuent et sont à équilibre, avec autant de sorties que d’entrées.

Pourquoi partir ?

Il y a bien sûr l’attrait du voyage , l’envie d’enrichir son CV et sa connaissance du monde. Mais les témoignages de nombreux expatriés dessinent en creux le portrait d’une société guadeloupéenne qui n’offre guère de perspectives .Il n’y a pas que le climat économique qui est pointé du doigt. La conflictualité sociale , le pessimisme ambiant sont aussi des causes avouées d’expatriation .Comment en est -t-on arrivé à ce phénomène croissant de société à savoir le refus de plus en plus marqué des jeunes diplômés guadeloupéens de ne pas vouloir rentrer au « pays » à la fin de leurs études ,et ce alors même que la Guadeloupe a et aura besoin de talents pour le développement de son économie dans les 10 ans à venir.

Valeurs perdues des jeunes, bonheur perdu des aînés : pourquoi notre société déprime et dérive dans la violence ? Cette question sous tend la décomposition actuelle de la famille en Guadeloupe par la perte des valeurs héritées de l’histoire.

Le leitmotiv , réitéré à l’occasion de chaque débat sur la violence de certains jeunes restés au pays , d’un taux de chômage élevé des jeunes qui serait uniquement responsable de la montée de la violence me donne l’occasion , à travers cette nouvelle publication à l’intention de certains lecteurs , de rétablir la vérité des faits et de tordre le cou à une idée trop souvent répandue et qui me semble erronée : 60 % des jeunes au chômage en Guadeloupe … une grossière contrevérité !‏

Certains jeunes guadeloupéens et martiniquais parmi les moins qualifiés et non diplômés ne veulent pas travailler un point c’est tout.

En temps de crise, le chômage des jeunes est un sujet omniprésent, en particulier lorsque les actes de délinquance s’accroissent. Les opportunités de citer les statistiques du chômage des jeunes en Guadeloupe et Martinique , et en particulier le taux de 60% de jeunes sans travail dans les deux départements ne manquent pas.

Hélas , ce chiffre de 60% est complètement faux et ne reflète aucune réalité concrète du terrain car le taux de chômage des jeunes est souvent utilisé à tort et à travers, notamment par le biais de comparaisons entre deux années, ou entre deux générations. Or comparer le taux de chômage des jeunes de deux pays, ou de deux années éloignées, ne tient plus de l’art des statistiques mais plutôt de la manipulation du débat publique ou bien de l’incompétence.

Je ne suis pas un amateur de la théorie du complot qui prétend que les statistiques sont truquées, mais simplement que les commentateurs notamment politiques qui les utilisent le font en méprisant leur définition, ce qui leur permet de faire croire aux gens l’inverse de ce que disent effectivement les données que nous avons recueilli sur le terrain et dans l’analyse des statistiques catégorielles des jeunes au chômage .

A bien observer et écouter certains jeunes , l’on constate qu’une partie non négligeable de nos adolescents et jeunes adultes ne seraient plus ou pas motivés pour aller travailler : contrairement aux anciennes générations qui ne rechignaient pas devant le labeur,les ‘jeunes’ refuseraient donc d’entrer dans la vie active sous peine d’avoir à fournir des efforts et d’être contraints par les devoirs d’un contrat de travail…

Mais , nous avons tous dans notre entourage, des contre-exemples : des jeunes qui manifestent un grand intérêt pour un métier précis voire même une vocation, qui travaillent durant l’année ou les vacances scolaires ou encore qui déploient une grande énergie pour trouver des stages en entreprise. D’autre part, il suffit de se rapprocher des manifestations d’étudiants et d’écouter leurs revendications pour être frappé par leur intérêt pour la vie professionnelle et même leurs craintes de ne pas y avoir d’avenir…

L’insertion finit toujours par arriver… pour les plus diplômés même au prix de l’expatriation !

Comment ne pas les comprendre ? Chacun connaît les difficultés que rencontrent aujourd’hui les jeunes pour accéder à un premier emploi stable, alors que prospère un chômage sous fond d’un ralentissement de l’économie dont ils sont les premières victimes. Certes nous ne contestons pas que de nombreux jeunes guadeloupéens et martiniquais sont aujourd’hui au chômage. Mais ce chiffre avancé de 60% de chômage des jeunes aux Antilles recouvre une réalité plus nuancée , car nous l’avons écrit dans un article précédent il existe en fait 3 catégories de jeunes.

Malgré l’accumulation initiale d’expériences brèves et mal rémunérées, l’insertion finit toujours par arriver pour les plus diplômés. C’est loin d’être le cas pour ceux qui ont une faible qualification, voire aucune qualification du tout. 1500 jeunes guadeloupéens et autant de Martiniquais quittent chaque année le système scolaire sans diplôme.C’est le taux de chômage des non diplômés qui s’élève aujourd’hui à 60 %. Quant aux moins diplômés, ils sont victimes d’un effet d’éviction, les plus qualifiés étant parfois contraints d’accepter des postes qui ne correspondent pas à leur niveau d’études.

Aucun désir d’insertion chez nombre des jeunes non diplômés !

On ne peut pas encore parler de génération perdue mais on commence à en voir les signes.

Les secteurs dans lesquels ils pourraient aisément trouver du travail ne les motivent pas car les salaires restent bas, les conditions de travail pénibles, les horaires à rallonge, les sujétions nombreuses. Selon une enquête menée sur le terrain par le service de la répression des fraudes , il s’avère qu’en Guadeloupe , l’agriculture , le bâtiment, comme la restauration, recrutent donc beaucoup de travailleurs clandestins ou en règle comme des Haïtiens , Dominiquais , et de plus en plus de dominicains. En 2015, 28% des restaurants contrôlés étaient en infraction, près du triple de l’année 2011 .L’agriculture compterait 75% de travailleurs étrangers en Guadeloupe et pour l’essentiel des Haïtiens . Le BTP cumule de son côté 50% des cas de travailleurs dissimulés dont une bonne part de Haïtiens et de Dominicais , 37% des faux statuts découverts, 52% des embauches d’étrangers sans titre de travail (Haïtiens) ou encore 89% des fraudes aux Assedic et 40%de fraude au RSA .

Et, quand les emplois sont légaux, il s’agit dans deux cas sur trois d’un CDD de moins de 6 mois. Mal payés, précaires ou à temps partiel, ces emplois sont l’objet d’un monopole des étrangers en Guadeloupe.

Il convient sans tarder de démonter les bobards du manque de travail pour les jeunes ?

Comment expliquer alors, la prolifération de ce stéréotype du manque de travail pour les jeunes qui semble se répandre tel le feu sur une traînée de poudre , alors que dans le même temps 60 000 étrangers souvent jeunes , travaillent en Guadeloupe dans divers secteurs d’activité ? les jeunes guadeloupéens semblent totalement désintéressés par certains métiers autrefois majoritaires parmi la couche la moins qualifiée et diplômée de la population guadeloupéenne! Même s’il est difficile d’en parler, plusieurs anecdotes recueillies auprès de chefs d’entreprises témoignent du manque d’intérêt des jeunes guadeloupéens pour certains métiers. Le bâtiment n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Ce n’est un secret pour personne que les métiers, particulièrement manuels, soient boudés par les jeunes guadeloupéens.

Il reste en effet que certains jeunes guadeloupéens le plus souvent en échec scolaire n’expriment aucun souhait d’entrer dans la vie professionnelle, se désintéressent de leur avenir quand ils ne rejettent pas le monde du travail dans son ensemble. Il est plus facile en Guadeloupe de trouver un médecin, un pharmacien… qu’un plombier, maçon ou menuisier… Et même quand on les trouve, ils se font désirer. S’il vous plaît, c’est sur rendez-vous. Le salaire ça ne se discute même pas. Par exemple, un maçon vous dit texto qu’il veut juste le salaire qui se fait partout, c’est-à-dire, 150 Euros la journée et en sus du cash! En plus, il ne se déplace pas pour n’importe quoi. Qui d’entre vous n’a pas attendu en vain l’arrivée de l’un de ces artisans? C’est un véritable parcours du combattant que d’aller à la recherche d’un maçon. A la première discussion, il ne dit jamais non. Il est juste occupé pour plusieurs semaines chez un autre citoyen. Il ne peut pas venir avant de terminer le travail , ou alors il commence le job et vous laisse en plan pour partir sur un autre chantier plus lucratif encore . Il faut attendre plusieurs mois pour qu’il vienne voir les travaux qu’on lui propose de réaliser, qu’il acceptera sous certaines conditions. Alors que dire d’un agriculteur, plombier, peintre, mécanicien, tôlier, électricien, ferronnier, soudeur, cordonnier… Bref, même les jeunes «jobbeurs», comme on les appelle dans le jargon populaire, sont devenus une denrée rare.

Et pourtant, c’est dans ces métiers que les offres d’emploi sont les plus importantes. L’offre d’emploi est abondante, mais les demandes ne suivent pas! Comme les citoyens qui ne trouvent pas, qui pour faire leurs petits travaux où réparer leurs maisons , les entrepreneurs sont également confrontés à ce problème , et donc embauchent des étrangers . Bien que les raisons d’une telle absence de désir et résistance à l’entrée dans le monde adulte, soient nécessairement spécifiques à chacun, il est sans doute pertinent de questionner l’impact des liens transgénérationnels sur l’image du travail en guadeloupe.
En dehors de la sphère familiale et des médias, seule l’école pourrait permettre aux adolescents d’approcher le travail. Or, avec le phénomène de la drogue qui prend de l’ampleur chez les jeunes dès l’école , quelle image du Travail peuvent-ils construire ? Et comment s’étonner si, par la suite, ils ne ressentent pas l’envie d’entrer dans ce monde-là …Pour certains jeunes, le basculement se fait sans transition. Ce sont justement les plus démunis qu’on laisse à l’abandon : ceux qui ont traversé leurs années collège en «passager clandestin », en accumulant chaque année un peu plus de lacunes, ceux qui sortent du système scolaire sans projet de formation, sans espoir d’emploi et qui, parfois, se trouvent sans appui familial. Ceux-là n’ont pas de statut, n’ont droit à aucune aide, à aucun dispositif de soutien. Il faut donc comprendre que ce sont ces jeunes là qui demeurent dans l’oisiveté et se réfugient dans la drogue et la délinquance .

Et la société de consommation…et son corollaire l’assistanat !

Qu’est-ce que le Travail, si ce n’est un effort constant d’adaptation de soi à la société, à une entreprise, à une organisation du travail, à un manager et encore à une équipe ? Le travail (notion qui par extension, recouvre le travail sur soi et l’évolution d’un individu et commence donc dès la naissance puisqu’une fois né, l’enfant ne cesse de travailler pour acquérir, s’émanciper…) est la résistance du réel. Il est un monde fait de contraintes dans lequel le sujet se confronte à l’autre et doit trouver sa place. Par définition, le travail est donc résistances, oppositions, labeur et efforts inscrits dans le temps…

La société de consommation dans laquelle nous vivons en Guadeloupe s’inscrit en totale opposition avec cette réalité : hédonisme oblige, tous les plaisirs doivent être satisfaits immédiatement, les besoins comblés et toutes résistances et échecs supprimés… Comment, alors, lorsque l’on grandit dans une telle société, peut-on s’inscrire dans le monde du travail ?

Cette situation fait qu’une question vient naturellement à l’esprit : les jeunes veulent-ils vraiment travailler? Il y a une année, nous posions en off la question à un chef d’entreprise de ce qu’il pensait réellement du travail des jeunes guadeloupéens . Réticent au début, il répondit: «on n’en trouve pas de bon travailleurs .» Mais au fil de la discussion et quand la confiance s’est installée il nous dira: «Je vous dis sincèrement, j’ai remarqué que les jeunes guadeloupéens non qualifiés voulaient tous travailler comme agent municipal ou agents de sécurité. Le travail manuel ne les intéresse guère», ce qui a fait l’effet d’une douche froide. Voilà l’image que renvoient certains jeunes guadeloupéens qui disent ne pas trouver de travail . Mais il faut être lucide avec nous-mêmes, cette image est réelle , n’en déplaise à certains qui se complaisent dans le schéma victimaire bien établi en guadeloupe . Allez demander à un jeune, même sans formation, de travailler dans le nettoyage des voiries, dans la soudure, par exemple, travailler la terre , être jardinier…Il vous répondra sèchement: «Jamais de la vie!». chômeur assisté par la société , vendeur informel de cannabis ,…c’est moins contraignant et plus rentable. Alors tant qu’à faire! Mais parallèlement, il crie au chômage comme on l’a vu encore hier soir dans un reportage du journal télévisé de guadeloupe première ! Les temps ont donc changé. La malédiction de l’assistanat est passée par là. Ce qui a fait de la guadeloupe et de la Martinique des pays…rentiers des transferts publics qui importent jardiniers Haitiens , maçons Dominiquais , artisans portuguais et ouvriers étrangers pour les «petits» métiers. Pourtant en guadeloupe ,et surtout en Martinique ou le taux d’occupation à l’emploi est plus fort , les jeunes chômeurs doivent le savoir, il y a du boulot pour ceux qui en veulent !
Demain notre génération de sexagénaires Antillais sera confronté à la solitude , serons-nous tous des vieux solitaires confrontés à la précarité , la pauvreté et la violence ?

Vivre seul et en situation de précarité en Guadeloupe et Martinique avec des enfants tous en France ou à l’étranger , est de plus en plus fréquent …
Un brin de solitude s’est emparé de la population Antillaise au comportement de plus en plus individualiste… La société de consommation vient-t- elle contribuer à ce phénomène ?

Le nombre de personnes vivant seules en Guadeloupe et Martinique a plus que doublé depuis 1980 et cette tendance devrait s’accentuer dans l’avenir, selon une étude de l’INSEE .

Avant 20 ans, le taux de personnes vivant seules reste marginal. Il s’accroît entre 20 et 24 ans pour approcher les 20 % et diminue ensuite pour atteindre 15 % entre 40 et 54 ans. La proportion remonte ensuite du fait des séparations et des décès. Entre 25 et 50 ans, on compte davantage d’hommes seuls que de femmes, mais à partir de cet âge ce sont beaucoup plus souvent les femmes qui sont concernées ; Un Guadeloupéen sur six (18 %) vivait seul en 2015 comparativement à 6% il y a 40 ans. Les femmes sont beaucoup plus touchées par le phénomène en Guadeloupe .

Et ce, malgré que la proportion des hommes ait connu une plus forte hausse, ayant triplé de 1982 à 2015 alors que celle des femmes a doublé .Celles qui résident le plus souvent seules sont les cadres. C’est l’unique catégorie sociale pour laquelle la part de femmes seules a augmenté. Avant 40 ans,les femmes cadres résident davantage en couple qu’en 1990 et ce sont désormais les ouvrières et employées qui vivent le moins souvent en couple, notamment parce qu’elles sont plus fréquemment mères de famille monoparentale. Après 40 ans, ce sont les femmes cadres qui habitent le moins souvent en couple ; à partir de cet âge, elles sont presque aussi souvent mères de famille monoparentale que les ouvrières et employées . C’est symptomatique d’une génération qui souffre d’une solitude affective conséquence d’une société de plus en plus désarticulée.
Le fait de se sentir seul a maintenant une explication scientifique. Selon certains chercheurs qui se sont penchés sur la question ,il arrive souvent à certaines personnes d’avoir l’impression d’être abandonné, c’est ce qu’ils qualifient d’être victime d’une « spirale négative ». Un cercle vicieux se met alors en place .Les perspectives d’avenir laissent déceler une véritable déconstruction de la famille en Guadeloupe (et donc une dérive de plus en forte de la jeunesse restée au pays sans perspectives ). Les instances qui l’ont supplantée n’ont pas fait mieux qu’elle. L’école a déçu les espoirs et l’État providence n’a pas pu satisfaire toutes les aspirations et répondre à la problématique identitaire. Bien sûr cette jeunesse a deux faces et est en réalité constituée de deux jeunesses bien distinctes. La distance sociale et idéologique s’accroît entre les jeunes selon qu’ils sont restés ou non au pays et disposent ou non d’un niveau d’études minimum ( ces deux jeunesses aux destins de plus en plus divergents) . En Guadeloupe, plus qu’ailleurs, l’écart entre ces deux jeunesses s’est accru , et la Martinique n’est pas en reste . Les jeunes générations sont l’avenir de la société et c’est pour cela que leurs attitudes présentent un intérêt particulier : se situent-elles dans la continuité des valeurs des autres générations ou un décrochage se manifeste-t-il dans certains domaines, qui serait annonciateur d’une « rupture générationnelle » et d’une « fracture culturelle » qui conduirait donc à une aggravation de la crise actuelle de société que connait la Martinique et la Guadeloupe ?

Nos jeunes étudiants se précipitent dans les universités étrangères, d’abord provisoirement, puis définitivement, pour les meilleurs, préférant travailler là où on leur fournit les moyens de leur recherche plutôt que là où on ne leur fait plus miroiter qu’un emploi précaire, sans moyen de travail en CDI . Il en va de même pour les meilleurs artisans,les meilleurs sportifs , les meilleurs musiciens, les meilleurs artistes ; et c’est vrai dans de très nombreux autres domaines.
De cela, personne ne parle, personne même ne veut l’admettre ; parce que ce n’est qu’avec retard qu’on en sentira les effets. Comme quand quelqu’un se coupe les veines : au début, c’est sans douleur, et puis il s’endort, et puis il meurt. C’est lentement que la Guadeloupe et la Martinique mourront du départ de leurs forces vives.

Elles doivent se réveiller d’urgence. Elles doivent redevenir accueillante, de toutes les façons possibles, pour tous ceux qui veulent contribuer sérieusement à leur avenir. Elles doivent s’attaquer sérieusement à toutes ses rentes de situation qui sclérosent la jeunesse, et à tout ce qui y empêche les jeunes de créer et d’avoir le bénéfice de leur travail. Il y faudra pour cela favoriser, sans complexe, la richesse créée au détriment de la richesse héritée.

Cela devrait constituer l’un des principaux débats des politiques . Il doit commencer dès aujourd’hui. Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va », disait Sénèque.

Jean-Marie NOL, Economiste financier
09/16

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