mercredi 19 août 2020

LE SENS DE DÉCENNIES DE LUTTE POUR NOTRE ÉMANCIPATION NATIONALE


La Martinique est une Nation. Dans cette Nation vit un Peuple pluriel : le peuple martiniquais. Ce peuple -comme tous les peuples mais pour des raisons différentes- a une histoire particulière. Celle-ci est fondée sur le système de l’esclavage des Africain.e.s déporté.e.s en Martinique, nos ancêtres. Cette histoire violente et déshumanisante a laissé des séquelles de toutes natures, profondes, singulièrement dans la population Afrodescendante.

L’esclavage et la colonisation, de même que la départementalisation, sous des formes plus insidieuses, ont cherché à anéantir nos racines africaines, par une éducation fondée sur l’afrophobie. On nous a savamment inculqué la haine de nous-mêmes. La voie du « salut », sur les plans culturel, social, spirituel, existentiel, dans la société dite « créole », consistait à « chapé », le plus vite, le plus tôt, le plus loin possible de notre « africanité ».

Mais on ne construit pas un destin de peuple sur une immense falsification et un abîme d’aliénation culturelle. . La déconstruction de l’idéologie suprématiste européenne doit embrasser tous les champs de notre existence : statuaire certes, mais aussi historique, culturel, idéologique, économique, politique... Ceci est vrai pour nous comme pour toutes les sociétés de la Caraïbe et des Amériques formées dans le même moule esclavagiste et colonialiste. Les Tamouls (Dravidiens) arrivés en Martinique à partir de 1853, après l’abolition de l’esclavage, en 1848, n’ont pas eu, sur le fond, un sort plus enviable.

Pour celles et ceux qui, depuis longtemps, se battent pour l’émancipation nationale et sociale du peuple martiniquais ces questions ne sont pas nouvelles. On ne les découvre pas en 2020... Le regretté professeur de philosophie, Henry BERNARD, surnommé « « Rasin », originaire de la Guadeloupe, avait, à ce propos, dans un disque sorti en 1970, donné une brillante analyse intitulée « conscience de race, conscience de classe, conscience nationale ». Tout cela n’est donc pas très nouveau.

L’esclavage et la colonisation sont, structurellement, l’expression d’une idéologie qui divise les êtres humains en « races » dites inférieures ( « personnes de couleur ») et en « races » qui se prétendent supérieures ». Rappelons que c’est un fils d’Haïti, Anténor FIRMIN, qui, en 1885, dans son ouvrage, « De l’égalité des races humaines. Anthropologie positive. », donnait une réplique cinglante à GAUBINEAU, l’auteur de « Essai sur l’inégalité des races humaines » (1853-1855).

La Nation martiniquaise n’est pas ethniquement homogène disions-nous, en introduction de ce texte. Loin de là. Elle est constituée, entre autres composantes, d’Afrodescendant.e.s et d’Indodescendant.e.s qui se sont souvent retrouvé.e.s ensemble dans les révoltes et luttes sociales qui ont marqué notre histoire.

Personne ne doit être nié. L’ambition de l’OJAM, née après les émeutes de décembre 1959, consistait à mobiliser les Martiniquais.es, dans leur diversité, pour débarrasser la Martinique de la présence coloniale française. Les organisations patriotiques et anticolonialistes apparues à la fin des années 60 se sont inscrites dans la même tradition. Une tradition heureuse qui ne fait pas des origines géographiques l’alfa et l’oméga de notre combat. Même si nous savons précisément où se trouvent les abcès à crever.

Il y a donc eu, à travers ces décennies de luttes anticolonialistes, une vision, une perspective, une pensée : éduquer, organiser, mobiliser le peuple martiniquais afin qu’il accède à sa pleine souveraineté, sur le sol de Martinique. C’est cette lutte qu’ont assumée courageusement et dans des conditions extrêmement difficiles, des générations de militant.e.s, de l’OJAM à aujourd’hui, en passant par Daniel BOUKMAN, Guy CABORT-MASSON, Marc PULVAR et bien d’autres. Des décennies d’engagement et de sacrifices ne semblent pas encore, apparemment, avoir payé. En réalité, elles ont profondément contribué à l’évolution du peuple martiniquais

Nous posons comme postulat que c’est la souveraineté nationale seule qui nous permettra de déconstruire définitivement ce système, à condition, bien entendu, qu’elle ne soit pas conçue comme une fin en soi mais comme un outil de transformation radicale du système colonial.

Le colonialisme français a une extraordinaire capacité de flexibilité et un redoutable sens de l’opportunisme : il vous laissera défendre votre patrimoine et vous y aidera même; il vous laissera détruire toutes les statues que vous voudrez (Joséphine cou coupé, statue de De Gaulle brûlée à deux reprises au Morne-Rouge...), aussi courageuses que puissent être ces actions; il vous aidera peut-être à construire les musées où les parquer. Tant que vous ne serez pas en mesure de prendre le pouvoir politique, il ne se sentira pas autrement inquiété.

Francis CAROLE
Vendredi 7 août 2020

LES EVEILLES ROUGE, VERT, NOIR



Rien ne peut plus nous étonner. Et voilà nos insurgés du dimanche se réclamant de A. Césaire, de F. Fanon et de Koko René-Corail, qui se coulent dans le modèle anglo-saxon en vogue, le très controversé « woke attitude», traduire « rester éveillé » (de veille informatique). Le terme d’origine argotique afro-américain, popularisé il y a une dizaine d’années par la chanteuse Erykah Badu a été repris sur les campus des grandes universités états-uniennes. Son usage s’est étendu, parallèlement, dans les milieux mondains et marketing (woke-washing)”.
. L’Urban Dictionnary qui fait autorité pour les parlers argotiques le définit comme suit: « The act of being very pretentious about how much you care about a social issue » (comportement très prétentieux sur le fait que vous vous préoccupez d'un problème social).

Pour ses adeptes, le « woke » serait une attitude d’éveil face à toutes inégalités (de classe, de genre, de race…) et aux questions environnementales. Bon nombre d’observateurs soulignent toutefois une recherche effrénée de la visibilité. Elle est consubstantielle à la « woke attitude » et se traduit par l’hystérisation scénarisée de l’indignation; relayée en cela par les réseaux sociaux. Nous en avons eu in vivo une illustration ces derniers temps avec des séquences de destructions frénétiques de statues et l’inflation de vidéos qui s’en est suivie sur les réseaux sociaux. Un des autres traits observables de ce mode d’engagement c’est l’indifférence à toute solution. Ce qui a fait dire au Président Barack Obama lors du sommet annuel de la Fondation Obama à Chicago le 29 octobre 2019 : "Il y a parfois ce sentiment que la façon (de) changer les choses, c’est de juger autant que possible les autres, et ça suffit ». C’est que l’indignation est a elle même sa propre fin. Nul besoin donc de projet, de cohérence. Ces notions n’ont aucun sens dans cette logique narcissique. On peut ainsi passer sans transition dans un court laps de temps de l’environnement au mémoriel, au compassionnel; d’une sommation à la destruction à une invitation à la restauration puis se raviser et faire un appel à la distribution de repas pour les SDF; tout cela en moins de deux jours. Qu’importe, ce qui compte c’est la visibilité et pas tant ces injustices dont on se targue d’être les seuls et les premiers à combattre.

On saisi mieux l’incompréhension du Maire de Fort-de-France à la réception du deuxième ultimatum alors qu’il pensait avoir donné des gages d’ouverture au dialogue et de bonne volonté: « je ne comprends pas ce qu’ils veulent » avait-il avoué dépité… Ils ne veulent rien d’autre, Monsieur le Maire, que de faire un étalage tapageur de leur indignation de circonstance. A moins que l’égérie des « éveillés rouge, vert, noir » ne soit, comme certaines autres éveillées danoise, américaine ou française de grande notoriété, dans une logique marketing dont les « grands frères rouge, vert, noir, éveillés » pensent pouvoir tirer un profit politique.

Marie-Laurence DELOR
le 05/08/2020

jeudi 13 août 2020

La Martinique parle le présent. Ce qui va là », tribune libre par le poète martiniquais Monchoachi.


« A travers l’action RVN (Rouge Vert Noir) de ces dernières semaines, la Martinique parle le présent. Elle le parle doublement : elle parle le présent de son histoire coloniale. Elle parle en même temps le présent de la terre entière dont l’espace est au même titre dévasté par un technicisme productiviste débridé et le temps embrigadé dans l’historiographie, pressuré par l’exigence d’un développement (d’un progrès) dont la seule destination est la marchandisation complète du monde, son nivellement et son engloutissement dans le totalitarisme technologique. Elle le fait dans un langage qui lui est propre faisant écho à un contexte qui lui est propre : celui d’un colonialisme qui s’exaspère avec la cristallisation de deux phénomènes parallèles : d’un côté une jeunesse émigrée massivement, en quête d’emplois vers la métropole coloniale (un peuple une nouvelle fois déraciné, désertant sa terre, mué en ombre) ; d’un autre côté, une active colonisation de peuplement qui ne cesse de se renforcer depuis deux décennies. S’ajoute à cela, le resserrement colonial d’un encerclement administratif et répressif.


Par conséquent, s’entêter de renvoyer à tout prix à l’histoire et à ses chères études ce qui parle le présent avec une telle insistance, c’est, contre toute évidence, prendre option de tourner la tête, de se voiler la face pour ne pas voir la présence de ce présent certes suffoquant, continuer de s’abuser à bon compte et préférer en quelque sorte se raconter des histoires. Bien plus et surtout, prendre le parti (sollicité par quoi et/ou par qui?) de s’interposer, de faire écran ainsi devant ceux qui en premier ressort auraient eu à en répondre, c’est s’ériger en protecteurs et gardiens zélés de cette réalité accablante.


On est surpris de trouver dans les rangs de pareils gardiens et protecteurs, des esprits sensés plus « éclairés », mais qui se révèlent à l’épreuve du feu plongés dans d’invraisemblables ténèbres, englués dans les notions qui articulent depuis si longtemps la mainmise conquérante et dévastatrice de l’Occident sur la planète.

L’histoire


Si l’homme ne peut échapper au temps, l’histoire quant à elle est la modalité selon laquelle la civilisation occidentale dès sa naissance dans la Grèce antique a conformé le temps avec la prétention de lui assigner ainsi un certain sens. Ce sens est ce qu’on nomme le progrès, autrement dit l’accumulation sans fin de techniques, de savoirs et de richesses. Cette vision du monde s’est emparée de la planète entière avec les résultats que nous avons aujourd’hui sous les yeux. 

Tout converge dans cette vision, savoirs et techniques, vers l’extorsion et l’accumulation de richesses, la conversion de la planète entière en fabrique de marchandises et déversoir de déchets. Ce serait un leurre de se figurer que l’homme commande à une telle fabrique : Il est lui-même et depuis un long temps transformé en marchandise.

Ce rapide survol de la question de l’histoire pour dire, puisqu’il en est tant question ces temps ci, que si nous avons à revendiquer un temps, et à partir en quête du rythme qui convient à l’homme pour son accomplissement propre, ce n’est certes pas dans ce que l’on nomme couramment l' »histoire » qu’il faudrait s’orienter, mais vers un temps qui nous accorde avec la terre. Avec notre terre, car la parole humaine a besoin d’un sol natal pour s’enraciner et s’épanouir.

Nous appartenons au temps, nous en sommes partie pour croître et nous accomplir quand l' »histoire » nous usurpe et nous missionne.


La démocratie

Pourquoi vouloir commettre la parole, la mettre sous un joug (« en commission », avec des spécialistes détenteurs du savoir) quand elle se donne libre cours, au risque certes d’emprunter des voies de traverses, mais loin de l’historiographie à quoi l’on voudrait la contraindre et la réduire ?


La démocratie que l’on invoque ici et là, si elle a été à son origine une assise pour fonder la vie en commun d’un peuple (la Grèce et Athènes d’il y a 2 500 ans) n’est plus depuis fort longtemps qu’une technique de domination accompagnant le dispositif de conquête planétaire de la civilisation occidentale. Son rôle est de faciliter et d’être le garant du déploiement de ce dispositif. C’est pourquoi elle est invoquée et mobilisée chaque fois que ce déploiement risque d’être contrarié ou perturbé. Ce déploiement a en Martinique, le visage France. La démocratie est donc convoquée dès qu’il y a risque que ce visage soit égratigné.


L’une des fonctions essentielles de la démocratie (par quoi elle s’apparente à ce qui fait l’essence même de la technique) est de diviser en organisant et en animant des joutes artificielles et sans enjeu réel qui opèrent comme des leurres diffusant la liberté comme simulacre. La liberté que l’on agite dans cette société n’est de toute manière jamais qu’un simulacre, telle la « liberté » de voyager quand le dispositif requiert absolument la « libre » circulation des personnes…comme des marchandises.


Pendant longtemps la démocratie s’est avancée et continue de le faire en brandissant la menace : démocratie ou dictature. Il apparaît déjà, et il apparaitra de plus en plus clairement, que la démocratie escorte le dispositif technique de dévastation de la planète et nous convoie vers un monde totalitaire certain. La véritable violence se dissimule là. C’est elle qui dessèche la terre et qui vitrifie les humains. Soit dit en passant, cette stigmatisation de prétendue « violence » à l’encontre du marbre sur lesquels les colonialistes inscrivent et surajoutent leur présence dominatrice supposée éternelle, jointe à la référence de la démocratie ouvre grand un espace dans lequel se précipitent tous les faux-semblants, tous les double-jeux, toutes les jongleries, bref en un mot, toutes les pantalonnades, style : « d’accord avec le fond mais pas avec la forme »! Or, la forme est tout. C’est elle qui présentifie et ouvre ce que l’on voudrait clore et renvoyer au passé. La forme est tout : elle ouvre à la parole ce qui autrement serait lettre morte. Passons.


L’alternative est donc dès aujourd’hui, pour chaque peuple d’inventer des modalités de sa vie commune qui lui soient propres et dont chacun trouvera à coup sûr des éléments dans sa tradition.


Mais enfin « Que veulent-ils » ?


Question étrange dans la bouche de ceux qui par ailleurs parlent de démocratie. Faut-il encore qu’en notre lieu et place ils soient notre vouloir? N’est-ce pas déjà beaucoup que ce présent que leur action dévoile et tel un don dépose entre nos mains? Encore faut-il savoir l’accueillir. Car le présent est en premier lieu ce qui accorde les hommes entre eux et les destine à la terre qui les porte et les abrite. Car le présent en outre, dès lors qu’on le laisse parler et qu’on se prend à l’écouter est ce qui ajointe le temps et, entre passé et avenir, fait entendre le murmure de son rythme propre loin de l’encagement historiographique et ses joutes stériles, nous tourne vers une terre qui attend que l’homme l’habite en vérité, c’est à dire la laisse resplendir et s’incorpore à son resplendissement. Ce qui implique de s’arracher à la rage d’extorquer qui gouverne et régente la présente civilisation.


La Martinique en même temps que le présent qui est sien parle le présent de la terre entière . Et sur la terre entière des voix lui font écho. Toutes disent le refus d’une terre ravagée, d’un temps séquestré, désapproprié, assigné au progrès. Toutes disent le refus du nivellement, du formatage, de la marchandisation de la terre et des humains. Toutes veulent retrouver la voix de l’homme, loin d’une parole qui se dégrade et sombre dans le langage unique de la computation sur fond d’individus atomisés, formatés, pressurés pour fonctionner. Toutes font entendre les prémisses de la fin de l’âge de la résignation.

Monchoachi

(11 aout 2020) »

dimanche 2 août 2020

L'histoire de l'ancien l'hôpital colonial et de la porte du tricentenaire à l'entrée du Parc Floral. L’actuel parc correspond à l’emprise de l’ancien hôpital militaire de Fort-de-France.


En 1698 le sieur Villamont, habitant de Fort-Royal – ancien Fort-de-France, donne aux religieux de la Charité un terrain de 3 ha pour l’établissement d’un hôpital.
Commencé en 1709, l’hôpital est terminé en 1722. Louis XVI en fait don aux religieux et le place sous le vocable de Saint-Louis.


Dès la fin du XVIIIe siècle, l’hôpital est à l’étroit dans ses murs, et l’on songe à le déplacer, mais cela n’interviendra qu’en 1935.

Toutefois, les aménagements d’usages et fonctionnels se poursuivent comme la construction de la chapelle à l’entrée du parc, du côté de la rivière. Celle-ci sera détruite en 1960.
Lors des fêtes du tricentenaire du rattachement de la Martinique à la France, en 1935, plusieurs spectacles et commémorations se déroulent dans le parc de l’hôpital sous la direction de l’architecte Robert Haller qui est chargé de l’organisation générale.
À cette occasion est construite une porte triomphale qui fait l’objet d’un concours d’architecture au cours duquel douze projets sont en concurrence.


Deux projets sont primés, le premier prix a été attribué de justesse à M. Gouart et Roseau de la société d’entreprise coloniale et le deuxième à M. Caillat et Dormoy.

La construction est finalement confiée à la Société Antillaise de Construction, représentée par Emmanuel Roseau, ingénieur formé à l’École Centrale.

Le budget préalablement fixé à 100 000 F. est ramené à 50 000 F., d’autre part, des primes de 1 000 F. et de 500 F. sont offertes pour les projets lauréats.

La porte est réalisée pendant le mois de novembre 1935 et sera utilisée ensuite comme guichet d’entrée lors de spectacles.

Quoi qu’il en soit, l’hôpital est provisoirement transformé en caserne portant le nom de Quartier Galliéni et, en 1971, le site est abandonné par les militaires et rétrocédé à la ville de Fort-de-France.

À l’instigation de l’association Soroptimist, le parc est devenu « Parc Floral » en organisant les premières floralies internationales du 20 au 31 janvier 1973. En 1976, la mairie y installe son service culturel (SERMAC).

Mes commentaires :

Cet espace a servi les intérêts coloniaux de la France a une époque reculée, mais a servi à soigner des milliers de martiniquais en plus des équipages des navires transatlantique.
La ville de Fort-de-France, donc le peuple foyalais s'est dès 1971 réapproprié l'endroit.
Des générations de jeunes martiniquais ont depuis profité de ces lieux au travers des actions militantes du SERMAC.

Vouloir s'en prendre à une porte dont très sincèrement pas grand monde ne connait l'origine et qui ne peut être assimilé à un symbole du colonialisme est pour le moins "surprenant" (pour rester politiquement correct).

Où s’arrêtera cette folie ? Ces personnes voudront-elles s'attaquer au Fort Saint-Louis, emblème s'il n'en faut de la puissance coloniale à son apogée?

Des routes, des tunnels ont été construits à l'époque coloniale, faut-il aussi les détruire?


Jean Yves Bonnaire