La Martinique est une Nation. Dans cette Nation vit un Peuple pluriel : le peuple martiniquais. Ce peuple -comme tous les peuples mais pour des raisons différentes- a une histoire particulière. Celle-ci est fondée sur le système de l’esclavage des Africain.e.s déporté.e.s en Martinique, nos ancêtres. Cette histoire violente et déshumanisante a laissé des séquelles de toutes natures, profondes, singulièrement dans la population Afrodescendante.
L’esclavage et la colonisation, de même que la départementalisation, sous des formes plus insidieuses, ont cherché à anéantir nos racines africaines, par une éducation fondée sur l’afrophobie. On nous a savamment inculqué la haine de nous-mêmes. La voie du « salut », sur les plans culturel, social, spirituel, existentiel, dans la société dite « créole », consistait à « chapé », le plus vite, le plus tôt, le plus loin possible de notre « africanité ».
Mais on ne construit pas un destin de peuple sur une immense falsification et un abîme d’aliénation culturelle. . La déconstruction de l’idéologie suprématiste européenne doit embrasser tous les champs de notre existence : statuaire certes, mais aussi historique, culturel, idéologique, économique, politique... Ceci est vrai pour nous comme pour toutes les sociétés de la Caraïbe et des Amériques formées dans le même moule esclavagiste et colonialiste. Les Tamouls (Dravidiens) arrivés en Martinique à partir de 1853, après l’abolition de l’esclavage, en 1848, n’ont pas eu, sur le fond, un sort plus enviable.
Pour celles et ceux qui, depuis longtemps, se battent pour l’émancipation nationale et sociale du peuple martiniquais ces questions ne sont pas nouvelles. On ne les découvre pas en 2020... Le regretté professeur de philosophie, Henry BERNARD, surnommé « « Rasin », originaire de la Guadeloupe, avait, à ce propos, dans un disque sorti en 1970, donné une brillante analyse intitulée « conscience de race, conscience de classe, conscience nationale ». Tout cela n’est donc pas très nouveau.
L’esclavage et la colonisation sont, structurellement, l’expression d’une idéologie qui divise les êtres humains en « races » dites inférieures ( « personnes de couleur ») et en « races » qui se prétendent supérieures ». Rappelons que c’est un fils d’Haïti, Anténor FIRMIN, qui, en 1885, dans son ouvrage, « De l’égalité des races humaines. Anthropologie positive. », donnait une réplique cinglante à GAUBINEAU, l’auteur de « Essai sur l’inégalité des races humaines » (1853-1855).
La Nation martiniquaise n’est pas ethniquement homogène disions-nous, en introduction de ce texte. Loin de là. Elle est constituée, entre autres composantes, d’Afrodescendant.e.s et d’Indodescendant.e.s qui se sont souvent retrouvé.e.s ensemble dans les révoltes et luttes sociales qui ont marqué notre histoire.
Personne ne doit être nié. L’ambition de l’OJAM, née après les émeutes de décembre 1959, consistait à mobiliser les Martiniquais.es, dans leur diversité, pour débarrasser la Martinique de la présence coloniale française. Les organisations patriotiques et anticolonialistes apparues à la fin des années 60 se sont inscrites dans la même tradition. Une tradition heureuse qui ne fait pas des origines géographiques l’alfa et l’oméga de notre combat. Même si nous savons précisément où se trouvent les abcès à crever.
Il y a donc eu, à travers ces décennies de luttes anticolonialistes, une vision, une perspective, une pensée : éduquer, organiser, mobiliser le peuple martiniquais afin qu’il accède à sa pleine souveraineté, sur le sol de Martinique. C’est cette lutte qu’ont assumée courageusement et dans des conditions extrêmement difficiles, des générations de militant.e.s, de l’OJAM à aujourd’hui, en passant par Daniel BOUKMAN, Guy CABORT-MASSON, Marc PULVAR et bien d’autres. Des décennies d’engagement et de sacrifices ne semblent pas encore, apparemment, avoir payé. En réalité, elles ont profondément contribué à l’évolution du peuple martiniquais
Nous posons comme postulat que c’est la souveraineté nationale seule qui nous permettra de déconstruire définitivement ce système, à condition, bien entendu, qu’elle ne soit pas conçue comme une fin en soi mais comme un outil de transformation radicale du système colonial.
Le colonialisme français a une extraordinaire capacité de flexibilité et un redoutable sens de l’opportunisme : il vous laissera défendre votre patrimoine et vous y aidera même; il vous laissera détruire toutes les statues que vous voudrez (Joséphine cou coupé, statue de De Gaulle brûlée à deux reprises au Morne-Rouge...), aussi courageuses que puissent être ces actions; il vous aidera peut-être à construire les musées où les parquer. Tant que vous ne serez pas en mesure de prendre le pouvoir politique, il ne se sentira pas autrement inquiété.
Francis CAROLE
Vendredi 7 août 2020
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