Dans la société française, en ce moment, une grande partie de la population exprime son ras le bol des politiques publiques proposées par le gouvernement. Le mouvement des « gilets jaunes » en est une des plus récentes manifestations. La colère monte, la grogne se fait de plus en plus ressentir et les réseaux sociaux se font l’écho de toutes les misères et désespoirs que les médias officiels ne montrent pas. La Martinique, belle région française, n’est pas en reste. Ces politiques publiques nous sont appliquées comme toutes les autres au nom de l’égalité réelle et de l’assimilation législative voulue par nos élus. Cette application ne se fait pas sans les mêmes dégâts, aggravés dans notre contexte martiniquais.
Indifférents ?
S’il est un point où l’égalité des territoires se réalise, c’est dans les difficultés liées aux décisions gouvernementales :
Hausse effrénée du carburant que nous importons de la mer du Nord, pourtant nous sommes dans un bassin géographique producteur de pétrole
Diminution des retraites, néanmoins il nous est répété que la Martinique est en passe de devenir la plus vieille région de France et que sa population décroit à une vitesse vertigineuse
Suppression de l’abattement fiscal et des 40% des fonctionnaires, qui touche bien plus de personnes que les 4% annoncés, les fonctionnaires constituant une grosse part de la classe moyenne et donc non-éligibles à un dispositif d’aide. Pourtant il est de notoriété publique que la France est le mauvais élève de l’Europe en matière de justice fiscale et que l’évasion fiscale est au cœur des manques de recettes.
Suppression de l’encadrement dans les institutions éducatives, tant dans la formation initiale que dans l’encadrement périscolaire, renforçant ainsi la précarité alors qu’on ne cesse dans le même temps de critiquer la jeunesse pour ses manquements.
Sur le territoire français, la protestation s’organise et les initiatives s’enchaînent. Pétitions, appels au blocage, actions symboliques… le sentiment de colère grandit et pousse un grand nombre d’individus à l’action. Chez nous, la réalité est toute autre. L’actualité s’est figée entre deux dilemmes : rhum ou vin, bonjour ou juron !!!
Blasé ?
Nos élus, chargés de porter nos voix au niveau national et qui comme les autres émargent aux fonds publics, font leur travail, figés néanmoins dans la dénonciation ou la revendication souvent dans des modes désuets et sans grand impact. Nous nous plaisons à partager leurs plus belles interventions mesurant à cette occasion quel poulain fera le buzz. Nous en sommes encore à nous contenter de nous réjouir des envolées lyriques ou poétiques de celui-ci ou celle-là, sans véritablement pouvoir en mesurer l’efficacité, comme si la politique se limitait encore aujourd’hui seulement à l’art du verbe, comme si la faculté de pouvoir enrober les idées d’un bel emballage suffisait pour éluder la réelle substance du discours.
Traumatisés ?
Avons-nous perdu la foi dans l'utilité de la mobilisation ? Sommes-nous trop éloignés des centres de décision et convaincus de ne pas être en capacité de compter et encore moins de peser dans les décisions ou dans les solutions ? La grève de février 2009 plane encore sur les esprits y laissant même un relent de traumatisme. Tant de souffrance, de casse d’entreprises, pour finalement discuter de la baisse du prix du pot de Nutella !!! Ce mouvement a eu pour effet de renforcer chez les Martinique ce sentiment de « peur de manquer » hérité du temps de l’amiral Robert, et régulièrement entretenu par les événements climatiques. Notre réflexe face à cette peur est à l’origine des queues interminables dans les stations-services et de la prise d’assaut des supermarchés à la moindre alerte météorologique ou sociale.
Ce sentiment s’est renforcé par les trois semaines de la légitime grève de septembre 2017 contre la suppression des contrats aidés. La mobilisation dans la durée était principalement constituée de fonctionnaires pour lesquels aucun jour de grève n'a été prélevé. Le résultat a consisté à faire perdurer un système de précarité et d’injustice sociale. Précarité s’illustrant par un salaire de 637,38 euros pour 20 heures hebdomadaires de travail réel, incontournable, indispensable, effectuées dans le cadre de contrats de dix mois. Autrement dit, pas de salaire en juillet et en août. Aucune possibilité n’est donnée à ces personnes, malgré leur bonne volonté, d’effectuer une heure de plus dans la perspective d’augmenter leurs revenus. Il y avait pourtant là une véritable opportunité de tenter de changer un système.
Méfiants ?
Le silence d'aujourd'hui n’est rien d’autre que le prolongement de l'abstention électorale, et l'apparente douceur de vivre en Martinique laisse plutôt penser à une forme de résignation. S’il est vrai qu’à l’instar d’Emile Maurice et d’Aimé Césaire certains hommes ont été pour la Martinique de véritables visionnaires et des bâtisseurs inspirants, ce silence pourrait alors traduire la déception des martiniquais due à l’excès de confiance qu’ils avaient placés dans leurs successeurs, Alfred Marie-Jeanne, Serge Letchimy, Claude Lise, etc…
Les obédiences politiques, en manque d’inspiration et de propositions, ont accéléré la disparition des clivages pour laisser place à des regroupements d’idées et de propositions sur la base de contrat de gestion, faisant de la politique et de l’avenir de notre société une affaire de comptabilité. Tous ces rassemblements hétéroclites depuis 2010 pour la conquête du pouvoir pour le pouvoir ont fait des hommes politiques des gestionnaires. Les valeurs républicaines, humaines, sont foulées aux pieds pour le pouvoir à tout prix. Il y a eu tellement d’outrages fait à la politique que les idéologies n'ont plus de sens.
Sortir de la bipolarisation de la vie politique
La bipolarisation de la vie politique locale est omniprésente. A la moindre intervention, réflexion, le fichage est effectué et l’auteur catalogué. On est obligatoirement pour l’un ou contre l’autre, aucune place pour l’existence d’une quelconque expression émanant de la société civile. Certains médias ont d’ailleurs pour mission d’adouber ou de crucifier le premier qui bouge, pourfendeurs de toutes pensées qui ne seraient pas dans le sens de ce qu’ils ont pour mission de propager. Loin d’être des guerriers d’une cause ou d’une idéologie, ils se font soldats d’un pseudo militantisme, mais en réalité à la solde de leur mandant en attente de quelque provende qu’ils pourraient en retirer.
Une option salutaire, miser sur la jeunesse
La défiance citoyenne au regard de l’autorité publique, le manque de confiance, le manque de crédibilité des élus pourraient nous laisser penser que la démocratie représentative est arrivée à bout de ce qu’elle pourrait proposer aux organisations humaines pour se développer dans le respect des libertés fondamentales et des droits de l’homme.
La démocratie participative, par la place plus grande qu’elle fait à l’expression des citoyens, semble répondre à leurs aspirations, encore faut-il qu’elle puisse être réellement organisée et contrôlée par eux-mêmes. En ce sens, le changement du mode de scrutin s’avère être indispensable pour que les élus d’une liste ne soient plus tous redevables qu’à la seule tête de liste. En outre, c’est en plus une garantie pour la représentativité territoriale effective et un réel contre pouvoir.
Pour aller plus loin on peut se référer l’excellente contribution d’Yves Léopold Monthieux
S’il est vrai que les outils institutionnels dont s’est dotée la Martinique constituent une véritable avancée pour faire évoluer le système, la réalité politique est tout autre, avec des gouvernants relevant tant des mairies, que de la CTM, des EPCI ou encore des parlementaires, dont la sédentarisation au pouvoir, la vision, les modes de pensée et de démarches de résolution de problèmes sont loin des aspirations de la majorité du pays à savoir la jeunesse. Plus généralement, si l’on veut réconcilier le citoyen et la politique dans l’intérêt supérieur de la Martinique, progresser à réformer le système actuel semble être un impératif. La solution pourrait passer par le changement du personnel politique, oser, et accepter de laisser la place aux jeunes pour aller jusqu’au bout de l’innovation et espérer un véritable changement, et ainsi permettre aux aînés de jouer leur rôle de transmetteur en les accompagnant, et assurer leur formation politique. Il faut cesser cette instrumentalisation qui consiste à placer quelques jeunes sur une liste pour se donner bonne conscience.
Il faut surtout pouvoir donner à ce pays un nouvel élan car la préoccupation des martiniquais n’est pas tant d’aller aux urnes mais de pouvoir vivre décemment, et dignement. Cette condition ne sera réunie que dans un pays ou le personnel politique joue la carte de la transmission en favorisant l’accession des jeunes au pouvoir. De mieux en mieux formés, ce sont eux qui possèdent aujourd’hui les clés pour apporter une véritable plus-value non seulement politique, mais surtout économique.
Indifférents, blasés, dépités, repus, déçus, nous sommes peut-être un peu de tout cela, mais nous sommes surtout de plus en plus étrangers au destin de notre pays et la seule chance de nous en sortir est de réinventer le système.
Ni première, ni deuxième et encore moins une troisième voie, il faut un big bang, une révolution, un nouveau 22 mai 1848…?
Jeff Lafontaine/18 novembre 2018
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