photo : Evariste Zephyrin |
Dans un récent échange aussi impromptu qu’improvisé sur Fb, Eddy Nedelkovsci, me lançait (en pleine gueule, mais je l’avais cherché) : il faut « avoir le courage et l'honnêteté de se poser la question de savoir si un certain discours militant ne tourne pas en rond, s'il n'est pas au centre des cercles concentriques qui tournent en rond ! ».
En effet, les vraies questions d’ordre politique appellent pour y répondre du courage et de l’honnêteté chez ceux qui, comme moi, ont consacré leur vie à militer pour que la Guadeloupe s’appartienne. Car c’est bien de cela qu’il s’agit sous la formule « un certain discours militant ». Courage de l’autocritique et, pourtant, honnêteté de ne jamais abandonner les valeurs qui nous animent.
Je dis bien « valeurs » quand il s’agit de la conviction qu’un peuple est appelé à être souverain en son territoire et libre de s’autodéterminer. Ce sont à la fois des valeurs démocratiques et morales, qu’on ne saurait réduire à une question statutaire et un débat juridique.
C’est ce type de débat qui, au fil des années, a confisqué un problème qui concerne le plus grand nombre pour l’abandonner à des cercles de spécialistes en tout genre et de tribuns oublieux du temps qui passe : article 73, 74 , etc..
Or, ces valeurs dont je parle plus haut fréquentent le désir de liberté. Il ne suffit pas de la clamer, il faut surtout qu’elle soit une envie irrépressible. Et qu’est-ce qui fait croître cette envie de liberté ? Le sentiment de ne plus pouvoir vivre comme on vit, sous surveillance, entravé par des lois qui interdisent de se penser en tant que peuple, dans une situation socio-économique où l’on est tenu de réfléchir et de travailler pour le compte d’un pouvoir extérieur ; de vivre dans un pays où l’on est libre de voter, certes, mais jamais de désigner des représentants pour SE gouverner. Ce qui est, pour tout peuple digne de ce nom, la liberté démocratique fondatrice de toutes les libertés, y compris celle de débattre publiquement et en permanence du sort commun.
Pourtant, s’il y a un peuple dont l’aspiration à la liberté (individuelle et collective) est fondatrice de son identité, c’est bien le nôtre. Voisin en cela de tous ceux qui sont nés de la lutte contre l’esclavage. Comment donc cette valeur-là, parfois si contagieuse au cours de notre histoire, est-elle devenue aujourd’hui si accessoire ? Comment en sommes-nous arrivés à en avoir peur au point de revendiquer « démocratiquement » l’aménagement institutionnel de notre sujétion ? Là est, de mon point de vue, la question politique majeure.
Peut-être cette majorité abstentionniste et non-inscrite sur les listes électorales -qui constitue le gros des guadeloupéens en âge de voter- y répond-t-elle à sa façon. Muettement. C’est un peuple taiseux sur son devenir que nous avons là. Comme s’il se posait constamment en irresponsable de ce qui continue à être décidé en son nom. De là à ce que cette majorité affirme de la responsabilité collective, il faut certainement beaucoup de temps. Le temps d’un militantisme qui sache interroger son silence pour en extraire les mots qui fondent un nouveau dire politique.
Comment voulez-vous qu’un citoyen doué de bon sens (je postule qu’il y en a beaucoup parmi les silencieux) puisse se prononcer sur une représentation politique qui s’interdit de gouverner en son pays ? Ne faut-t-il pas un jour avouer que l’offre politique électorale ne franchit jamais le pas de l’intendance, c'est-à-dire, de la problématique du géreur d’habitation ? Si nos élus l’étaient sur la base d’une pensée ou d’un projet politique propre, croyez-vous que le Congrès des élus s’en remettrait à la « société civile » pour lui donner vie ? Non, ils consulteraient le peuple, certes, mais pour en débattre, l’enrichir, l’approuver ou le contester.
Aucun élu ou candidat connu ne se sent prêt à gouverner. Aucun ne se hisse à un niveau d’homme d’Etat, sinon dans l’attelage d’un ministère parisien. On ne cesse de nous répéter que nous ne sommes pas mûrs. Pourquoi faudrait-il franchir l’océan pour le devenir comme par magie ?
Je ne parle pas, bien sûr, au nom du « peuple abstentionniste ». Quoique nos mots d’ordre d’abstention aient contribué en donner à une partie des guadeloupéens l’habitude - juste pour affirmer que « nou pa fwansé »- il ne s’agit pas du gros des troupes. Nos adversaires électoralistes ont raison de ne pas d’attribuer tout le poids de l’abstentionnisme aux indépendantistes, de même que ces derniers seraient mal inspirés de le considérer comme un patriotisme triomphant. Aujourd’hui, non seulement l’abstention est contre-productive en termes d’alternative politique, mais encore elle entraine des comportements qui peuvent condamner à terme la démocratie proprement guadeloupéenne dont nous rêvons.
En effet, que ce soit maintenant ou demain, il n’y aura pas de nouvelle représentation politique, qui sache montrer par l’exemple comment SE gouverner, sans un électorat renouvelé à partir des citoyens âgés de 18 ans. Peut-être même avant, si l’Education scolaire contribue à faire mieux comprendre la Guadeloupe et le monde à nos enfants.
Oui, l’esprit de liberté s’apprend pour mieux être contagieux. Il s’agit avant tout d’un combat contre l’ignorance et, par conséquent, la servilité instituée. C’est en ce sens que j’entends Eddy Nedel : « Ce pays a besoin d'un vrai débat de fond, de ceux qui permettent de discerner une «vision politique», appelée peut-être à devenir collective un jour. » J’entends cela comme une responsabilité de Guadeloupéen, avant d’être celle d’un homme de presse.
Frantz Succab
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