Tribune co-signée de Victor Bostinaru, Ivailo Kalfin et  Catherine Trautmann, présidents des délégations socialistes roumaine,  bulgare et française au Parlement européen.
"Nicolas Sarkozy a, au cours de l’été, engagé une politique  d’expulsion systématique et sans précédent des populations roms en  France. En droit français, il s’agit d’une réforme de la loi sur  l’immigration pour faciliter la reconduite à la frontière des étrangers  en situation irrégulière, y compris, dans certaines circonstances  particulières, de ressortissants de l’Union européenne (UE). Visant  directement la communauté rom, la mesure s’appliquerait en cas de  "menace pour l’ordre public, en l’absence durable de moyens de  subsistance ou d’abus du droit à la libre circulation".
A ce jour, plus d’un millier de Roms ont été reconduits dans leur  pays. Mettons-nous d’accord sur les faits. Selon le gouvernement, il  n’est pas approprié de parler d’"expulsions" ; les départs seraient  "volontaires", assortis d’une indemnité, versée par l’Etat, de 300 euros  par adulte et 100 euros par enfant. En réalité, en tant que citoyens de  l’UE depuis 2007, les Roms roumains et bulgares jouissent de la liberté  de circulation et du droit au séjour sur le territoire des Etats  membres.
Sous statut différencié, cependant. Ils disposent de la liberté de  circulation, soit, mais pas de celle de travailler : les dispositions  transitoires de Schengen les obligent à obtenir un titre de séjour, puis  une autorisation pour pouvoir exercer une activité professionnelle -  parmi une liste de 152 métiers -, moyennant le paiement d’une taxe par  l’employeur. Dans les faits, donc, après trois mois passés en France  sans domicile ni sources de revenus, ils sont juridiquement dans  l’illégalité et deviennent expulsables. De surcroît, selon certains  témoignages parus dans la presse, il n’est pas rare que les policiers  effectuant l’évacuation des camps omettent de mentionner le caractère  "volontaire" du retour.
Les réactions ne se sont pas fait attendre : condamnation de la  communauté internationale, réprobation à l’ONU, au Conseil de l’Europe,  et même rappel à l’ordre du pape Benoît XVI... Plus récemment, on a  assisté à des manifestations de protestation de Roms à Bucarest, à Sofia  et en Macédoine contre la politique d’expulsion du gouvernement  français.
Le Parlement européen a adopté, le 9 septembre, une résolution  condamnant l’attitude du gouvernement français. Seule la Commission  européenne reste en retrait. Alors que les analystes s’attachent à  démontrer qu’il s’agit là d’une violation manifeste du droit  communautaire, José Manuel Barroso a décidé de ne pas publier une  analyse de la politique française à l’égard de cette communauté,  estimant qu’il n’y avait "aucun intérêt pour les deux parties à créer  une controverse sur cette question".
Pour nous, parlementaires européens, l’instrumentalisation de la  situation de ces populations est inadmissible. Nous connaissons le  recours systématique de Nicolas Sarkozy aux amalgames douteux et à la  stigmatisation d’une communauté pour en faire le bouc émissaire des maux  auxquels il ne parvient pas à trouver une solution durable. En temps de  campagne présidentielle, c’est l’approche que privilégie la droite  française pour orienter les débats.
Nous attendons en revanche de José Manuel Barroso, président de la  Commission européenne, qu’il puisse répondre à des questions politiques  concrètes : la légalité de l’opération française au regard du droit  communautaire et des solutions législatives européennes pour des  populations qui se déplacent dans les Etats membres de l’Union. Rien de  tout cela ne nous a été présenté lors de la dernière session plénière du  Parlement européen.
Ces faits interviennent pourtant dans un contexte de montée du  populisme dans plusieurs Etats membres (Pays-Bas, Autriche, Italie,  Hongrie ou Belgique, notamment). L’Europe, dans son ensemble, joue sa  crédibilité dans cette funeste affaire. Notre groupe politique a, pour  dénoncer les infractions de la France, constamment fait référence à la  directive 38/2004 relative aux droits des citoyens européens de se  déplacer librement sur le territoire de l’UE. On peut ajouter que le  fait d’obliger les expulsés à donner leurs empreintes digitales, comme  l’indiquent certains rapports, constituerait une nouvelle infraction, en  particulier à l’article 21.1 et 2 de la charte des droits fondamentaux  de l’UE et aux directives 38/2004 et 43/2000.
Puis vient la question éthique, la question, essentielle à nos yeux,  du sens politique de la construction européenne dans la solidarité.  Accepter une telle politique abîmerait durablement l’identité de  l’Europe en tant que " communauté de valeurs", comme la définit la  Charte des droits fondamentaux. L’Union, par son caractère hétérogène et  transnational, interdit toute discrimination fondée sur l’origine  ethnique ou la nationalité comme principe fondamental. C’est pourtant  sur ces valeurs que se retrouvaient en cohérence le droit communautaire  et la Constitution française.
Cette même France, pourtant, qui a été condamnée en juin par le  Conseil de l’Europe pour violation de l’article 31 de la Charte sociale  européenne à cause de l’insuffisance du nombre d’aires d’accueil pour  les gens du voyage, des mauvaises conditions de vie et d’accès au  logement qui leur sont réservées. Ni le droit français ni le droit  européen ne sont donc plus des références normatives.
L’absence de réponse européenne coordonnée est injuste : elle laisse  seuls des Etats membres qui ont adhéré en 2004 et 2007 face à un  phénomène européen qui concerne des populations présentes sur le sol de  notre continent depuis des siècles. Aider les Roms, ce n’est pas les  accompagner à la frontière, c’est créer les conditions de leur  socialisation.
Rappelons-le : le premier problème auquel ils doivent faire face,  c’est la pauvreté. Or, avec cette mesure, le gouvernement français ne  s’attaque pas "à la pauvreté, il s’attaque aux pauvres", pour reprendre  les termes que György Spiró, célèbre écrivain hongrois, avait choisis  pour qualifier la situation de son pays.
Au moment où l’agenda communautaire nous amène à débattre sur l’état  de l’Union, la question des Roms s’impose tristement comme un symbole du  risque de délitement européen. Les Européens doivent s’emparer du  sujet. Ensemble et vite. Il est grand temps de clamer, comme un  camouflet aux populistes, la devise de l’Union : "Unité dans la  diversité"."
Tribune publiée dans "Le Monde" édition du 14/09/2010
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