RAPPORT DU CONSEIL DEPARTEMENTAL DE L'ORDRE DES MEDECINS
remis au Président du Conseil Régional de Martinique
Objet : Donner un avis médical sur les risques sanitaires encourus lors de l’épandage aérien des produits phytopharmaceutiques utilisés actuellement dans le traitement de la cercosporiose noire qui affecte les bananeraies.
Produits présentés par l’Agence Régionale de Santé :
*TILT (PROPICONAZOLE), *SICO (DIFECONAZOLE) et *BANOLE (HYDROCRACAGE DE PETROLE).
Docteur Josiane JOS PELAGE
Vice Présidente du Conseil
Départemental de l’Ordre des Médecins
60 Rue de la République
97200 Fort de France
Mr Serge LETCHIMY
Président de Région
Hôtel de Région
97233 SCHOELCHER
Fort de France le 7 février 2012.
Objet : Avis sur l’épandage
Monsieur le Président,
Dans votre courrier du 19 janvier 2012, vous avez sollicité l’expertise sanitaire du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins sur le dossier de l’épandage.
Le Président du Conseil de l’Ordre m’ayant déléguée pour le représenter, j’ai assisté comme prévu à la réunion du vendredi 27 janvier 2012 à la Chambre d’Agriculture, afin de donner un avis médical sur l’incidence sanitaire de l’épandage aérien avec les produits présentés.
La Commission du Conseil régional ayant sollicité un rapport écrit des intervenants, je vous adresse sous ce pli ma contribution à la réflexion, faite à la fois des remarques que j’ai présentées en réunion et des éléments complémentaires dont j’ai pu disposer après cette dernière.
J’espère que ces avis contribueront comme vous le souhaitez à éclairer la commission.
Restant à votre disposition pour toute information complémentaire, je vous prie d’agréer l’expression de ma très grande considération.
Dr J.JOS PELAGE
P. / J. Rapport du Conseil de l’Ordre (7 pages )
Rapport du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins
Destinataire : Commission ad hoc du Conseil Régional réunie le vendredi 27 janvier 2012 à la Chambre d’Agriculture.
Objet : Donner un avis médical sur les risques sanitaires encourus lors de l’épandage aérien des produits phytopharmaceutiques utilisés actuellement dans le traitement de la cercosporiose noire qui affecte les bananeraies.
Produits présentés par l’Agence Régionale de Santé :
*TILT (PROPICONAZOLE), *SICO (DIFECONAZOLE) et *BANOLE (HYDROCRACAGE DE PETROLE).
Le traitement de la cercosporiose noire tel qu’exposé lors de la réunion du 27 janvier 2012, suppose une application 9 fois par an tantôt d’antifungiques triazolés dissous dans du BANOLE tantôt de BANOLE seul.
Les caractéristiques des produits utilisés, indiquées sur leur fiche technique, font apparaître une dangerosité réelle pour la population humaine à un degré variable selon le produit.
Le TILT et le SICO ont une toxicité aigüe modérée et localisée mais non nulle et une toxicité chronique suspectée qui les a fait inscrire en classe 3 sur le répertoire des produits cancérigènes. Le BANOLE, par contre, utilisé comme huile de dilution est un hydrocraquage de pétrole et à ce titre il présente à la fois une toxicité aigué pulmonaire et neurologique potentiellement mortelle et une toxicité chronique connue de longue date par le corps médical, à savoir un potentiel cancérogène.
Le mode d’utilisation de ces produits, l’épandage aérien, n’enlève rien à leur dangerosité pour la population générale, même si il protège au mieux l’ouvrier agricole. En effet les petites particules de ces fongicides pulvérisés par l’aéronef, du fait de leur finesse, risquent bien de se retrouver à la faveur des vents dominants dans les poumons des riverains et de toute façon, dans la nappe phréatique à terme, lors du lessivage des feuilles par les pluies.
L’homologation d’un produit n’est en aucun cas une preuve de non risque, car peu de données existent sur ce mode d’utilisation des produits et encore moins sur les risques spécifiques encourus par les personnes sensibles que sont les enfants en bas âge qui paient le plus lourd tribut actuellement aux perturbations environnementales.
L’examen tant de la réglementation que de l’analyse des données sur les produits invite à beaucoup de circonspection et de prudence.
En tout état de cause le principe de précaution doit prévaloir comme c’est le cas actuellement pour les prothèses mammaires dont on ne cesse de répéter que « rien ne prouve qu’elles sont cancérigènes mais que les femmes sont invitées vivement à les retirer au plus vite».
Le médecin a un rôle de protection de la santé des individus mais aussi de la santé publique .Il se doit donc quand il est sollicité d’alerter et de tout mettre en œuvre pour éviter que ne soit mis en danger la population.
C’est à ce titre que je conclurai par un avis très défavorable sur tout mode de traitement aérien ou terrestre faisant usage des produits présentés.
Pour étayer mon rapport, j’y joins un certain nombre d’éléments que j’ai jugé indispensables à la bonne compréhension de cet avis.
A. Réglementation
Avant toute chose il est important de faire un rappel sur la réglementation en vigueur en matière de toxicité d’un produit.
Avant la mise sur le marché et l’homologation d’un produit phytopharmaceutique, des études de toxicité sont requises. Ces études sont disponibles sur le Site de E.S.I.S.(esis.jrc.ec.europa.eu/doc/existing-chemicals/IUCLID/data.../64742467 )-Ces études scientifiques permettent de classer le produit en différentes catégories selon les risques encourus et notamment de documenter les risques cancérigènes conformément aux directives européennes 67/548/CEE. La liste des produits phytopharmaceutiques cancérigènes peut être retrouvée sur le site de l’Institut National de Recherche et de Sécurité-( www.inrs.fr)
Chaque produit mis sur le marché est affecté d’un numéro CAS qui est son numéro d'enregistrement unique auprès de la banque de données le « Chemical Abstracts Service », ce qui permet de retrouver toutes les études effectuées sur ce produit ainsi que les conclusions des experts. Parmi les produits répertoriés, il y a ceux qui sont dits CMR Cancérigènes, Mutagènes ou dangereux pour la Reproduction qui sont classés en I ,II ou III , selon une Réglementation Européenne qui figure à l’annexe 1de la directive 67/548/CEE. Cette classification est effectuée en fonction des données dont dispose l’Institut National Recherche et de Sécurité .INRS.
La Classe II par exemple à laquelle appartient le BANOLE concerne les produits « considérés comme cancérigènes du fait de données positives sur deux espèces animales. Ces substances devant être assimilées à des substances cancérigènes pour l’homme. On dispose de suffisamment d’éléments pour justifier une présomption que l’exposition de l’homme à de telles substances peut entrainer un cancer. Cette présomption est fondée sur des études appropriées à long terme chez l’animal et sur d’autres études appropriées ».
La classe III à laquelle appartient le SICO comprend « des substances préoccupantes pour l’homme en raison d’effets cancérigènes possibles mais pour lesquelles les informations disponibles ne permettent pas une évaluation satisfaisante (preuves insuffisantes) .Il existe des informations issues d’études adéquates chez les animaux mais elles sont insuffisantes pour classer le produit dans la catégorie II. »
Certaines dispositions réglementaires découlent de la classification en substances cancérigènes mutagènes et repro-toxiques : 1/ l’étiquetage est obligatoire 2/ il y a une interdiction de mise à disposition du grand public. 3/ des Règles particulières de prévention : l’employeur est tenu de le remplacer.
L’étiquetage est obligatoire : il indique le degré de toxicité T et de risque R.
« Il existe un Code spécial affecté aux produits cancérigènes signalant la dangerosité des produits qui doit figurer sur l’affichage du produit. » Catégorie I et II T toxique. Catégorie III XN nocif.
« Les phrases de risque ("phrases R") sont des indications présentes sur les étiquettes des produits chimiques, qui indiquent les risques encourus lors de leur manipulation. Elles se présentent sous la forme d'un R suivi d’un ou de plusieurs nombres, chacun correspondant à un risque particulier ».
Il se trouve que la présentation faite des produits le 27 janvier n’a pas permis d’apprécier leur degré de dangerosité et que certains étiquetages étaient incomplets .
B. Les Produits
Les deux fongicides SICO et TILT qui dans le programme de lutte contre la cercosporose noire seraient utilisés 4 fois par an pendant 2 à 3 ans présentent des risques modérés à court terme et des incertitudes sur le long terme compte tenu des informations dont nous disposons.
1. Le TILT composé de PROPICONAZOLE est un triazolé immatriculé sous le numéro CAS : 60207-90-1.
PROPICONAZOLE 250.00 60207-90-1 262-104-425,5 % p/p Xn N R 22 - R 43 - R 50/53 R 36/38
15 INFORMATIONS REGLEMENTAIRES
- Etiquetage : CLASSEMENT France Xi - IRRITANT- R 36/38 - Irritant pour les yeux et pour la peau.Dangereux pour les organismes aquatiques.
Il est étiqueté XN. à savoir classe 3 selon la classification européenne de produits cancérigènes. « Il peut provoquer une atteinte des poumons en cas d'ingestion, et l'inhalation des vapeurs peut provoquer somnolences et vertiges » ….
Si on peut éviter l’atteinte des yeux et de la peau le risque pour les poumons et le cerveau sont à prendre en compte. Ses effets sanitaires sur le long terme ne sont pas connus.
2.Le SICO composé de DIFENOCONAZOLE est également un triazolé immatriculé sous le numéro CAS : 119446-68-3 classé selon la directive européenne comme XN – NOCIF avec de potentiels risques d'effets graves pour la santé en cas d'exposition prolongée par ingestion. Il s’agit donc d’un produit classé Nocif non dénué de toxicité, et de cancérogénicité non démontrée mais non exclue. Xn R 22 - R 48/22
R 36/38
« 15 INFORMATIONS REGLEMENTAIRES
- Etiquetage : CLASSEMENT France Xn - NOCIF- R 36/38 - Irritant pour les yeux et pour la peau.
-R 43 - Peut entraîner une sensibilisation par contact avec la peau.-R 48/22 - Nocif : risque d'effets graves pour la santé en cas d'exposition prolongée par ingestion.
Dangereux pour l'environnement aquatique. »
En médecine, les triazolés dont font partie le Propiconazole et le Difenoconazole, sont utilisés par voie buccale, cutanée ou intraveineuse. Leurs effets secondaires sont surtout d’ordre hépatique ; ils sont peu utilisés chez l’enfant en bas âge. Leur apparition récente et le manque de données toxicologiques font apparaître une méconnaissance quasi totale des effets à long terme sur la santé humaine. Leur action dans les alvéoles pulmonaires n’est pas connue. On peut s’inquiéter du fait que le filtre alvéolaire ne les laissent pas passer et qu’ils s’accumulent dans les poumons.
3.Le BANOLE est un HYDROCRAQUAGE du pétrole immatriculé sous le numéro CAS : 64742-16-7 et classé R45 classe II donc cancérigène étiqueté T à savoir toxique .Il est toxique pour le système nerveux et cancérigène .Selon la réglementation il ne doit pas être mis à disposition du grand public et ne peut être utilisé par les travailleurs .Le risque pour les personnes en contact est réel.
Il faut signaler que la documentation mise à notre disposition sur le BANOLE le 27 janvier présentait des lacunes graves car le numéro de risque R n’était pas indiqué, l’étiquetage du produit non signalé, alors même que sa dangerosité est connue depuis 2000 et que nous serions restés dans cette ignorance si les services de la CGSS n’étaient pas intervenus pour apporter des précisions qui ont permis de confirmer nos craintes .
« 2. COMPOSITION / INFORMATION SUR LES COMPOSANTS
SUBSTANCE
Composants contribuant aux dangers N°. CE N°. CAS Concentration Symbole Risques
Distillats lourds (pétrole), hydrocraquage 265-077-7 64741-76-0 100 % -
Voir section 16 pour des explications relatives aux phrases R :
*Commentaires sur la composition : - Teneur en HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) : < 3 % (IP 346). »
« 16. AUTRES INFORMATIONS
Restrictions d'emploi : Utilisations recommandées et restrictions d'emploi : voir section 1 »
« ETIQUETTE DU PRODUIT
ETIQUETAGE (d'usage ou CE): Non concerné
Contient : Distillats lourds (pétrole), hydrocraquage
Phrases de risque : Néant
Conseils de prudence : Néant
ETIQUETAGE TRANSPORT: Non concerné. »
Ce produit contient un solvant aromatique dérivé du pétrole. Le fournisseur signale que l'inhalation de concentrations élevées de vapeurs (plus de 1 000 ppm) entraîne l'irritation des yeux et des voies respiratoires et peut causer : maux de tête, étourdissements, anesthésie, somnolence, perte de conscience et autres effets sur le système nerveux central, y compris la mort. L'exposition de la peau peut provoquer une dermatite graisseuse et la photosensibilisation. Dans de rares cas, le solvant peut sensibiliser les muscles du coeur causant de l'arythmie.
Nous connaissons en pédiatrie le danger de l’ingestion et de l’inhalation du pétrole chez l’enfant entrainant des atteintes graves des poumons. Il est question dans cette documentation de troubles au cerveau, de possibilité de mort et de troubles cardiaques qui peuvent être graves.
Cette dite « huile de dilution », le BANOLE cancérigène classe 2 signalé par une numérotation R45 et répertoriée comme toxique T.est utilisée 9 fois par an. Sa toxicité aigue lors des passages est importante car il peut causer des pneumonies aigues potentiellement mortelles. Sa toxicité chronique est à la fois liée à son potentiel cancérigène et son action sur le système nerveux.
. Il sera extrêmement illusoire d’imaginer protéger la nappe phréatique et les cours d’eau de ces produits qui risquent bien de se retrouver dans l’eau du robinet et dans les aliments.
La documentation dont nous disposons et le recul des médecins sur les effets indésirables du benzène, les leucémies et autres atteintes des lignées sanguines par les dérivés du pétrole incite le corps médical à la prudence et invite les politiques à faire jouer le principe de précaution. Sur le plan de la prévention des risques sanitaires au travail la protection des ouvriers agricoles amènera à interdire le BANOLE définitivement.
Concernant les deux autres produits, même s’ils sont moins dangereux, ils combineront leurs effets à ceux des polluants présents dans un cocktail qui risque plus d’être potentialisateurs. La même prudence devrait être de mise.
Le traitement par voie terrestre amène à faire des réserves similaires s’agissant des produits eux-mêmes .Simplement l’impact pulmonaire sera moindre mais la toxicité digestive et chronique sera la même.
C .Données de Pathologie environnementale.
Pour éclairer la commission il n’est pas inutile de rappeler quelques éléments d’ordre physiopathologique ; à savoir que si la toxicité aigüe des produits, celle qui se manifeste rapidement après exposition, peut être réduite, par des concentrations de plus en plus infimes, car elle est souvent dose-dépendante, par contre, la toxicité chronique, qui elle apparaît plusieurs mois ou années après une exposition unique ou répétitive à un produit,n’est pas dose-dépendante mais chrono-dépendante.
C’est la répétition des doses, même si elles sont infimes, qui est dangereuse et peut être responsable de cancers ou de dégénérescence cérébrale plusieurs dizaines d’années après. Les mécanismes en cause touchent la cellule elle-même ou la synthèse des protéines et entrainent ce que l’on appelle des « perturbations endocriniennes ou de modifications épi-génétiques ». Les populations les plus exposées aux mutations épi-génétiques et aux perturbations endocriniennes étant les êtres en pleine croissance cellulaire donc les fœtus (les femmes enceintes) et les enfants en bas âge.
Aujourd‘hui les spécialistes en médecine environnementale, une spécialité qui prend de l’essor dans tous les pays du fait même de la pollution, mettent l’accent sur ces risques nouveaux liés à des pratiques nouvelles insuffisamment documentées, et invitent les médecins à faire jouer le principe de précaution devant toute situation innovante pouvant impacter la santé humaine. Dans la situation qui est la notre, il faut protéger les ouvriers et les ouvrières agricoles qui peuvent être enceintes un jour, mais aussi les riverains plus ou moins éloignés, et les consommateurs d’eau et d’aliments potentiellement contaminés. Parmi ces populations il y a tous les êtres à la santé déjà fragilisée à savoir les enfants en bas âge et les femmes enceintes, les insuffisants rénaux, les malades diabétiques, psychiatriques ou autres.
D’autre part la technique utilisée bien que très séduisante, présente un risque non négligeable lié à la finesse des particules qui expose les populations même très éloignées en favorisant la dissémination aérienne des produits malgré toutes les précautions prises. Ces microparticules peuvent se charger d’autres polluants présents dans l’atmosphère et pénétrer dans les alvéoles pulmonaires qui n’opposent aucune barrière face à ces molécules extrêmement fines. Ces micro ou nanoparticules peuvent également franchir la barrière cutanée à la faveur de l’inflammation de la peau causée par leur toxicité propre.
Il faut bien noter que l’épandage aérien comme l’application par voie terrestre ne mettent pas à l’abri d’une pénétration des produits dans les sols et dans la nappe phréatique où ils risquent de polluer l’eau et les aliments.
Aujourd’hui les risques toxiques véhiculés par l'eau représentent une préoccupation planétaire.
Dr J.JOS PELAGE
NDLR : Lors de la Plénière du 1er décembre 2011, le Président du Conseil Régional de Martinique a donné un avis favorable à l'utilisation de l'épandage aérien sans aucune expertise scientifique préalable, ce qui a permis au Ministre de l'agriculture de déclarer que "l'autorisation de l'épandage aérien est consécutive à un avis favorable des élus de Martinique".