Je n’ai jamais compris comment aux quatre coins du monde des militants politiques pouvaient s’enflammer au-delà du raisonnable pour des élections, quelles qu’elles soient, au point de s’insulter, comme s’ils étaient eux-mêmes candidats, et de se brouiller avec leurs familles et leurs amis de façon parfois irréversible. Certes, il y a des hommes et des femmes politiques de grande valeur qui font un travail remarquable, mais aucun d’eux et aucune d’elles ne mérite à mes yeux que des gens perdent leurs nerfs et leur sens critique, au point de se faire la guerre, avec des mots ou des armes, en oubliant que les vainqueurs auront aussi besoin des vaincus pour réussir ce qu’ils ont annoncé. J’ai la chance d’avoir vécu plusieurs vies sur plusieurs continents. Ça a forgé très tôt mon détachement vis-à-vis de la chose politique et surtout de celles et ceux qui l’incarnent, ce qui ne m’empêche pas de voter et de regarder si les promesses sont tenues. Ma découverte du monde politique remonte à la fin des années 70, dans le pays où je suis né, la Côte d’Ivoire, avec une rencontre qui m’a marqué jusqu’à aujourd’hui. A l’époque, j’avais une vingtaine d’années et je n’avais pas encore tâté de la prison pour délit d’opinion, mais j’étais déjà chaud bouillant et acerbe à l'égard des profiteurs du régime sans partage du président Félix Houphouët-Boigny. Un soir, mon père avait invité à dîner le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, le docteur Balla Keita. Avec toute la flamme dont la jeunesse est capable, j’entamai une discussion très vive avec lui sur l’absence de démocratie en Côte d’Ivoire. Je le compris aux regards noirs que me lançait mon père: il était choqué par ma franchise, surtout à l’égard d’un ministre. Mais rien n’aurait pu m’empêcher de dire ce que j’avais sur le cœur. Le ministre me laissa exposer mes grandes théories avant de me clouer le bec ironiquement: "Tu vois, mon garçon, avec Houphouët-Boigny, on est tous comme dans une pièce de théâtre. Quand il ouvre le rideau, on n’a qu’une chose à faire, c’est applaudir. Et, quand il le ferme, on se tait !"
Serge Bilé
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