samedi 16 avril 2011

Il y a 65 ans, le 19 mars 1946, La Réunion ainsi que les trois autres colonies françaises, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, devenaient des départements français.



Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la situation de l'île de La Réunion était catastrophique pour l'immense majorité de la population. La culture de la canne à sucre, essentiellement tournée vers l'exportation, se trouvait encore sans débouché. Les infra- structures étaient délabrées. La population ne mangeait pas à sa faim. L'état sanitaire était tout aussi déplorable. La mortalité atteignait un taux de 22 pour mille et de 145 pour mille pour celle concernant les enfants. Dans le domaine de l'éducation, les choses n'allaient pas mieux.


Une toute petite minorité échappait à la situation dramatique dans laquelle se débattait l'immense majorité de la population. Elle formait une caste unie par des liens familiaux. Ses richesses étaient telles qu'elle avait pu, sans aucune gêne, passer les moments difficiles qui, pour elle, avaient été passagers.

Dans ce contexte, des militants communistes, syndicalistes, militants des droits de l'homme, démocrates se regroupèrent au sein du CRADS (Comité républicain d'action démocratique et sociale). Leur objectif était d'obtenir l'assimilation de l'île à la France. Ils pensaient que la simple proclamation de la départementalisation suffirait pour entraîner l'entrée en vigueur des lois sociales dans l'île. Leur revendication n'était pas nouvelle puisqu'elle avait déjà été formulée lors des mouvements sociaux des années 1936-1937.

La caution de Vergès et de Césaire

Les discours de Raymond Vergès et de Lépervanche, et plus encore celui que prononça le Martiniquais Aimé Césaire et qu'appuya Vergès lors de la discussion de la loi de départementalisation, furent des plus significatifs.

Ainsi expliquait Raymond Vergès : « Depuis toujours, nous avons demandé notre intégration à la France. Hier, quand elle resplendissait de tout son éclat, nous voulions nous fondre en elle. Aujourd'hui que sa puissance a été amoindrie, que la trahison de ses élites officielles, que les plus cruelles épreuves, que le massacre organisé par des brutes savantes l'ont si atrocement blessée, notre volonté n'est que davantage affermie. »

Aimé Césaire était encore plus net quand il s'exclamait : « À l'heure où, ça et là, des doutes sont émis sur la solidité de ce qu'il est convenu d'appeler l'Empire, à l'heure où l'étranger se fait l'écho de rumeurs de dissidence, cette demande d'intégration constitue un hommage rendu à la France et à son génie (...). Si les Antilles et La Réunion ont besoin de l'assimilation pour sortir du chaos politique et administratif dans lequel elles se trouvent plongées, elles en ont surtout besoin pour sortir du chaos social qui les guette. Tous les observateurs sont d'accord pour affirmer que les problèmes se posent à la Martinique, à la Guadeloupe, à La Réunion avec une telle acuité que la paix sociale est gravement menacée. » On ne pouvait faire plus nettement allégeance à l'impérialisme français, ni plus nettement se positionner comme garant de son ordre social. C'était d'ailleurs la politique prônée à l'époque par le Parti Communiste Français dont Raymond Vergès était proche et Aimé Césaire membre.

Tout aussi grave, la politique mise en avant laissait alors de côté la responsabilité des capitalistes locaux et des grands propriétaires qui, dominant toute l'économie des nouveaux départements, étaient de ce fait responsables de la situation difficile des populations.

Une mise en application qui se fit attendre

La loi de départementalisation une fois octroyée, sa mise en application fut lente et laborieuse. Si bien que vingt ans plus tard, Césaire devait avouer que la départementalisation n'avait pas fait des Antillais « des citoyens à part entière » mais « des citoyens entièrement à part ». Et ce que Césaire disait des Antillais était tout aussi vrai pour les Réunionnais.

Entre le moment de la promulgation des textes sur la départementalisation et leur application, beaucoup de temps s'écoula. Contrairement à ce que Lépervanche avait assuré, qu'au 31 décembre 1946 tous « jouiront des droits économiques et sociaux accordés aux Français du continent », la mise en ouvre du contenu même de la départementalisation se fit attendre. Non seulement les mois passèrent sans qu'aucun changement ne se réalise, mais nombre de décrets d'application furent repoussés, et pour certains plusieurs fois. Le régime de Sécurité sociale ne vit le jour qu'en octobre 1947. Puis furent mis en place au fil des mois : l'assurance vieillesse (janvier 1948), l'allocation aux vieux travailleurs (avril 1948), les allocations familiales (1949), la protection maternelle et infantile en 1950... l'égalité du smic en 1996 !

Aujourd'hui, la situation des classes populaires est différente de celle d'il y a 65 ans. Mais le département de La Réunion bat cependant de bien tristes records. Le chômage est parmi les plus élevés de France, plus de 30 % de la population active ; l'île compte plus de 100 000 illettrés ; le nombre de personnes touchant le RSA dépasse les 60 000, le coût de la vie est nettement plus élevé qu'en métropole...

Si en 1946 la départementalisation fut accordée malgré l'opposition des milieux possédants, ce fut avant tout par crainte des mouvements de colère de la population pour qui la situation était intenable. Et aujourd'hui, c'est toujours cette crainte qui pourrait imposer aux possédants et à leur État plus de justice sociale et de meilleures conditions d'existence.

Émile GRONDIN

1 commentaire:

  1. Bonjour, Vous avez cité Aimé Césaire ( la départementalisation n'avait pas fait des Antillais « des citoyens à part entière » mais « des citoyens entièrement à part » ). Pouvez-vous par hasard me dire d'où vient cette citation? Je crois qu'il l'a dit lors d'un entretien mais j'ai dû mal à trouver la source! Merci, Annie

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