Madame la Ministre, chère Christiane,
Parlementaire en mission, à propos de l’article 349 du Traité de Lisbonne, il ne m’a pas été pas possible de participer en personne aux débats concernant le mariage pour tous. Les champs de bataille ne sont jamais consécutifs et, par ces temps de crise, il nous faut très souvent faire des choix qui permettent de démultiplier nos avancées sur de larges amplitudes et de manière simultanée. Néanmoins, il me paraissait indispensable d’expliciter mon vote et cela pour deux raisons.
La première, c’est de vous rendre hommage. Hommage à votre courage, à votre hauteur de vue.
La seconde, c’est de rappeler cette coïncidence qui me semble hautement symbolique : celle qui aura porté si brillamment le projet de loi concernant la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, est aujourd’hui la même qui se retrouve à batailler, avec tout autant de force et d’intensité, pour une transformation de nos états de conscience.
Chère Christiane, j’ai le sentiment que c’est le même combat.
Nous avons en commun ce que Césaire appelait une pression historique. Nous qui avons vécu la négation de notre humanité durant les temps esclavagistes. Nous qui avons connu la négation de nos droits de citoyenneté les plus élémentaires durant les périodes coloniales et post-coloniales. Nous qui devons encore vivre (jusqu’à l’absurde) la négation des différences au nom de l’égalité, comment ne pas être, plus que tout autre, infiniment sensibles à la question de fond que pose cet important débat ?
Pour ma part, je l’aborde avec exigence et gravité.
Le fond pour moi est des plus simples : en plein 21ème siècle, dans le cadre d’une République, dans une vieille démocratie, il existe une catégorie de personnes qui ne disposent pas d’un accès égal à la totalité des dispositifs de soutien et de reconnaissance mis en œuvre pour l’ensemble des citoyens. De facto, le non-accès des couples homosexuels aux dispositifs du mariage et de la filiation les transforment en une classe de citoyens de seconde zone, voire de sous-individus.
Il existe une honte : l’homophobie. La connaissance que nous avons de l’humain nous permet de comprendre que l’homosexualité n’est ni une maladie, ni une perversité, ni une simple pratique, mais véritablement un fait, une réalité que l’on retrouve dans l’ensemble du vivant. L’on naît et l’on se découvre comme cela.
Nous sommes donc dans la normalité humaine. Dès lors, les individus en question peuvent être considérés comme étant discriminés en raison de leur être. Ce qui est inacceptable dans le cadre et les valeurs de cette République. Et ce n’est pas à vous, chère Christiane, que je vais rappeler que l’idée de tare, de perversité, de sous-humanité, ou de sous-citoyenneté, a toujours été exprimée ou sous-jacente quand il fallait refuser des droits aux nègres, aux colonisés, aux femmes… et à tant d’autres. Racisme, sexisme, homophobie sont des discriminations du même ordre : elles font d’une différence des êtres l’enjeu d’une entreprise d’infériorisation sociale et juridique là où la République proclame l’idéal de l’égalité des êtres.
Il est tout à fait concevable que deux êtres de même sexe puisse éprouver l’un pour l’autre le sentiment majeur de la nature humaine : l’amour. Que cet amour n’est ni une perversité, ni une maladie, ni une pratique qui se voudrait rebelle. Il est d’ailleurs tellement puissant qu’il s’oppose bien souvent à des systèmes sociaux très hétéro-centrés : dans tous les pays du monde, des plus urbains et développés au plus traditionnels, il existe des couples homosexuels qui affrontent l’opinion dominante. Ce sentiment profond, persiste, endure, se maintient, se développe, et renforce finalement notre espérance en la nature humaine. Le couple est d’abord cela : un très beau sentiment qui fonde envers et contre tout, sécurité, stabilité, le soutien réciproque, désir d’enfant et cadre familial.
Car il y a cet autre fait : des couples homosexuels existent et ils ont parfois la charge d’élever des enfants. Je pense que l’équilibre psychoaffectif d’un enfant ne se construit pas tant en rapport avec des sexes, qu’en rapport avec des fonctions que l’on peut définir sommairement comme fonction d’autorité et de distanciation, et fonction maternante de grande proximité.
Il est enfin indéniable que le droit positif est favorable aux couples mariés, et protège mieux les enfants de ces couples, que les dispositifs annexes. Les dispositifs hors-mariage n’ont déjà pas la même charge de sacré ni de symbole. Pouvons-nous donc laisser autant de nos concitoyens en basse marge de l’état de droit, et hors d’atteinte du rayonnement de nos symboles ?
Et donc chère Christiane, avec mon affectueux salut, je tenais à vous dire ceci : vous nous faites vivre de nouveau un moment historique ! C’est une extension des droits et une extension de conscience que vous nous apportez.
Ce sont les raisons pour lesquelles je voterai pour le projet de loi relatif au mariage pour tous.
Je vous assure, madame la Ministre, de mon total soutien et de ma parfaite considération.
Serge Letchimy
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