lundi 14 décembre 2009

A Copenhague, encore des mots en l’air sur le climat ?

par Damien Millet - Eric Toussaint

Par les temps qui courent, les grands sommets internationaux ont ceci de remarquable que les pires craintes s’y confirment : les pays riches montrent ostensiblement leur indifférence sur les questions socio-environnementales malgré les mobilisations des mouvements sociaux et les pays présents se mettent d’accord sur une déclaration de bonnes intentions tout en prenant soin de ne signer ni engagement chiffré contraignant ni agenda trop précis.

Du 16 au 18 novembre, Rome accueillait le sommet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui devait s’attaquer au problème de la faim, d’autant plus sensible avec la grave crise alimentaire que traverse le monde depuis 2007. Le seuil du milliard de personnes sous-alimentées a été franchi, soit 150 millions de personnes en plus depuis 2006. En deux ans, plus de la moitié de la population de la planète a vu se dégrader fortement ses conditions de vie en raison d’une très forte hausse du prix des aliments combinée à une augmentation brutale du nombre de chômeurs en raison de la crise économique et financière qui a éclaté dans les pays industrialisés. Cela a entraîné des protestations massives de par le monde au cours du premier semestre 2008. Le premier objectif du millénaire pour le développement, consistant à réduire de moitié entre 1990 et 2015 la proportion des êtres humains souffrant de la faim, se soldera par un échec puisqu’en avril 2009, les ministres de l’Agriculture des pays du G8 reconnaissaient que « le monde est très loin d’atteindre cet objectif ».

Les causes sont connues. Une faible partie des aliments produits dans le monde est exportée, l’écrasante majorité de la production étant consommée sur place, mais ce sont les prix sur les marchés d’exportation, fixés principalement aux Etats-Unis (à la Bourse de Chicago, de Minneapolis et de Kansas City), qui déterminent les prix sur les marchés locaux. En conséquence, le prix du riz, du blé ou du maïs à Tombouctou, à Mexico, à Islamabad est directement influencé par l’évolution du cours de ces grains sur les marchés boursiers. Après l’éclatement de la bulle de l’immobilier aux Etats-Unis (crise des subprimes à l’été 2007), nombre de spéculateurs ont trouvé refuge sur les marchés des matières premières, poussant les cours à la hausse, d’autant qu’une partie croissante de la production est destinée aux funestes agro-carburants.

Le premier semestre 2008 a été dramatique sur ce plan. Il faut dire que durant plusieurs décennies, les gouvernements ont supprimé progressivement toute forme de protection pour les producteurs locaux et ont suivi les recettes néolibérales dictées par la Banque mondiale et le FMI. Après la crise de la dette au début des années 1980, ces deux institutions ont imposé des plans d’ajustement structurel aux pays surendettés. Au menu, l’abandon des subventions aux produits de première nécessité, la réduction drastique des budgets sociaux, la suppression des différents mécanismes de régulation ou encore l’ouverture totale des marchés. Ces plans d’ajustement structurel ont certes enrichi les grands créanciers et les élites locales, mais ils ont surtout mis en grave danger les populations du Sud et réduit fortement les possibilités d’intervention des Etats.

Devant une telle situation, une large mobilisation de tous les pays semblait aller de soi. Pourtant, seule une soixantaine de chefs d’Etat ou de gouvernement, essentiellement d’Afrique et d’Amérique latine, ont participé à ce sommet boudé par la totalité des dirigeants du G8, sauf Silvio Berlusconi. Mais la présence de Berlusconi avait une raison bien simple : lui éviter de devoir comparaître devant un tribunal italien ce jour-là. Aux dires même du directeur de la FAO, Jacques Diouf, le sommet fut décevant : « Si nous n’avons pas les dirigeants qui ont autorité sur tous les dossiers, qui peuvent coordonner l’action, (...) je pense que nous passons à côté du problème, nous réduisons la question à sa dimension purement technique, alors qu’elle a une dimension économique, sociale, financière, je dirais même culturelle. » Evidemment l’objectif d’éradication de la faim a été renouvelé, mais aucune date-butoir n’a été fixée pour l’atteindre. Des mots en l’air donc.

Prochaine étape ? Le climat. Un réchauffement climatique de grande ampleur est en cours, d’autant plus inquiétant qu’il se produit à une vitesse que l’humanité n’a jamais connue. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), prix Nobel de la Paix en 2007, estime que « l’essentiel de l’élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu du XXe siècle est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES » (gaz à effet de serre). Si cette élévation est aussi rapide, c’est à cause des changements radicaux survenus dans les activités humaines. Face à de tels dérèglements climatiques, des mesures drastiques s’imposent, à commencer par la remise en cause du modèle économique qui a conduit le monde dans cette impasse.

Depuis des décennies, les mesures néolibérales imposées notamment par le FMI et la Banque mondiale ont fragilisé, et souvent irréversiblement détérioré, les écosystèmes. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les pays du Sud ont dû orienter leur économie vers l’exportation : pétrole, minerais, productions agricoles « tropicales ». Les conséquences environnementales ont été désastreuses : surexploitation des ressources, déforestation, pollutions, érosion des sols, désertification, accumulation de déchets très toxiques, mégaprojets énergétiques destructeurs, soutien aux industries extractives.

Le protocole de Kyoto, lancé en 1997, impose une réduction des rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère avec des quotas différents suivant les pays. Sitôt entré en fonctions en janvier 2001, le président George W. Bush a retiré la signature des Etats-Unis. Pour sa part, l’Europe a mis en place une « solution » taillée sur mesure pour l’économie capitaliste, en créant un marché des droits à polluer, qui peuvent donc s’acheter ou se vendre. La pollution est devenue une marchandise comme une autre : celui qui paie peut polluer.

Nul n’ignore que se tient actuellement à Copenhague le Sommet de l’ONU sur le climat. L’enjeu est de taille pour préparer l’après-2012, mais les pays riches ne semblent pas vouloir agir à la hauteur de leurs responsabilités historiques. En effet, les populations des pays pauvres, qui sont les premières touchées et n’ont pas les moyens de se prémunir des effets des changements climatiques, ont très peu contribué à l’accumulation de pollution dans l’atmosphère (moins de 20%). Même si les émissions des pays en développement risquent à l’avenir de dépasser celles des pays riches, la responsabilité de ces derniers restera plus élevée pendant encore longtemps.

Des pistes alternatives peuvent être avancées, parmi lesquelles la réorientation des financements vers la mise au point d’alternatives technologiques, des plans de transition à tous les niveaux (global, régional, national, local) vers une société sans combustibles fossiles, un transfert massif de technologies propres vers le secteur public des pays en développement débarrassés de leur dette, la création d’un fonds mondial pour l’adaptation aux effets du changement climatique alimenté par une ponction sur les profits des secteurs responsables du changement climatique (pétrole, charbon, automobile, production d’électricité.), la suppression du régime des brevets dans la santé et dans les technologies permettant de produire des biens de consommation et des services essentiels, sans oublier la nécessité d’une alternative anticapitaliste.

Si ce prochain sommet n’opère pas un tel virage bien réel et radical, le risque est grand que la seule différence de fond entre Rome et Copenhague soit juste une différence. de climat !
Damien Millet est porte-parole du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org). Eric Toussaint est président du CADTM Belgique. Ils ont écrit ensemble le livre « La Crise, Quelles Crises ? », CADTM/Aden/CETIM, à paraître en janvier 2010.

CADTM

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