Bangui, 15 août 2011.
Voici 300 jours que le chef de bataillon Ismaël Koagou est détenu illégalement et arbitrairement dans les filets de la machine infernale de François Bozizé. Rien ne bouge, aucune perspective visible de libération. Aucun chef d'accusation, pas d’audition, pas de procès, des avocats impuissants, un système judiciaire sourd et aveugle, un chef de l’Etat jouissant impunément du pouvoir de vie et de mort sur qui bon lui semble. Une situation intolérable. Koagou est-il un otage? Simplement un officier trop bien formé, issu de la mauvaise ethnie? Victime de jalousie primaire? une épine dans le pied du pouvoir?Manifestement il est tout cela à la fois, victime d'un gouvernement de scélérats, sans foi ni loi, aux aguets, le sang aux yeux, nerveux, et profondément abusif. Sa famille, ses amis, et tous ceux qui se préoccupent de son sort, ne manqueront pas de tenir le pouvoir responsable de tout ce qui pourrait arriver à Ismaël Koagou pendant sa détention arbitraire.
Ngaragba, instrument de diabolisation de Bokassa dans les années 1980, est devenu aujourd’hui un lieu habituel de détention en République Centrafricaine. Pourtant, rien n’a véritablement changé dans des locaux pourris par la vermine, respirant la misère du monde, l’injustice profonde, le silence criminel et délibérément intimidant des autorités, une résignation insupportable. Alors qu’à un moment où il fallait que la communauté internationale soit convaincue de l’horreur du règne de Bokassa le récalcitrant, Didier Bigo décrivait Ngaragba comme « le concentré de l’horreur que peut produire un régime comme celui de Bokassa. Fréquemment comparé à un camp de concentration nazi, aussi bien par ceux qui écrivent sur la question (…), par ceux qui y ont vécu (…), Ngaragba n’est pourtant qu’une étape dans un processus qui s’enracine dans la quotidienneté de l’arbitraire. La prison est dans la continuité des pratiques sociales. » (« Ngaragba, l’impossible prison » de Didier Bigo dans la Revue française de sciences politiques, 1989, volume 39).
De toute évidence, la prison de Ngaragba constitue aujourd’hui encore, avec les sinistres geôles de Bossembélé, no-man’s land des droits humains, un des piliers de l’appareil répressif aux ordres de François Bozizé, combiné à une justice en liquéfaction, ossature d’un régime en crise permanente de légitimité, dans une culture implacable de l’arbitraire et de l’impunité. Où sont ceux qui dénonçaient la répression de Bokassa ? Celle de Bozizé n’est-elle pas tout aussi brutale, sinon davantage ? Où sont donc alors les donneurs de leçons ? combien de victimes de décisions arbitraires et d’accusations loufoques y a-t-il dans les prisons centrafricaines, gardés par des garde-chiourmes chatouilleux à la gâchette facile?
Ismaël Koagou, fonctionnaire irréprochable, arrêté le 20 octobre 2010, puis incarcéré à Ngaragba le 3 décembre 2010, ne fait l’objet d’aucune accusation, si ce n’est d’une diffamation sur la foi d’un avis fabriqué de désertion. Le fait qu’il ait pendant plus d’une année demandé à être reçu par sa hiérarchie pour une mise en disponibilité, afin de pouvoir prendre un poste à l’Ambassade des Etats-Unis, avec des refus systématiques de ses supérieurs ainsi que du ministre de la Défense, le propre fils du chef d’Etat, Francis Bozizé, de le recevoir, ne compte pas. La démission officielle qu’il s’est finalement résolu de donner à son employeur, ne compte pas non plus. Tout porte même à croire qu’il a été poussé à démissionner pour qu’on puisse mieux l’accuser de désertion par la suite, faisant suspecter que le vrai problème se constitue par son appartenance à l’ethnie yakoma, abhorrée par le clan Bozizé, et assimilée à l’ennemi d’Etat par excellence. En effet, les différentes mesures stratégiques punitives ou d’éloignements, prises depuis le putsch de Bozizé de mars 2003, prouvent bien le sentiment yakomaphobe du pouvoir.
Le régime de François Bozizé, garni d’éléments dont il n’a souvent pas la maitrise, est capable de tout, autant en termes de calculs malsains, qu’en termes d’absurdités juridiques et de violences imprévisibles, fantaisistes et excessives. Ismaël Koagou, face à un pouvoir qui ne fonctionne que par l’humiliation et la précarisation de tous ceux qu’il perçoit comme des ennemis potentiels, peut-il encore espérer un sursaut de lucidité de la part d’un chef hypocondriaque?
Au nom de tous les siens, de ses amis et de tous ceux qui se préoccupent de sa sécurité, la libération d’Ismaël Koagou sans condition est inéluctable. En attendant, François Bozizé et ses sbires seront forcément tenus pour responsables pour toute atteinte à la sûreté et à l’intégrité de sa personne.
300 jours de privation de liberté en l’absence totale de chef d’accusation, sans une once de volonté politique pour le règlement de la situation, constitue un crime d’Etat très grave, une violation époustouflante des droits de l’Homme. Une preuve de plus de l’illégitimité absolue d’un bourreau dont la seule préoccupation est se remplir les poches le plus longtemps possible, et dont les seules ressources dédiées à la Nation ne servent qu’à assouvir un gros complexe de persécution et à sécuriser son butin de guerre.
Tandis que des coupables de crimes monumentaux en tout genre dorment bien au chaud, apparemment sans aucun problème de conscience, non loin de là, à Ngaragba, Ismaël Koagou en est à son 300ème jour d’incarcération gratuite et silencieuse.
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