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vendredi 26 août 2011
"Tenemos un hijo"
Un jeune couple vient de vivre l'amère expérience d'un kidnaping express en République Dominicaine. Pendant plus de deux heures, ils ont été la proie de ravisseurs qui les ont dépouillé complètement entre San Cristobal et Santo Domingo. Cela arrive de plus en plus souvent à des compatriotes de se faire enlever chez nos voisins. Récit d'une aventure au pays d'à côté.
Haïti: Il est 20h30. Trop tard sur une route trop longue. Mon mari est sur le qui-vive: des Haïtiens ont été attaqués sur la route menant à Santo Domingo la semaine dernière. Il ne m'en dit rien, il ne veut pas m'inquiéter. Nous venons de passer San Cristobal. Une pancarte indique Santo Domingo 24km: c'est bon, nous serons à notre hôtel dans moins d'une demi-heure.
Une sirène me tire de ma rêverie. Le reflet bleu et rouge d'un gyrophare danse dans le rétroviseur. Nous ne roulions pas si vite que cela quand même... Mon mari ralentit et se gare. La lumière d'une lampe de poche nous aveugle. « Policia ! Policia ! Haitianos, DROGA !!!! ». Cela se passe tellement vite... Un homme descend de la voiture « de police ». Le temps de crier « Policia ! Policia ! Haitianos ! Droga ! », et il est déjà à la fenêtre de mon mari, qui tente d'ouvrir la boite à gants pour, j'imagine, lui montrer que nos papiers sont en règle. Le bruit d'un pistolet qu'on bascule, le reflet du canon pointé sur nous, et le cauchemar commence.
Ils nous font descendre. Ils ne sont pas en uniforme, mais ils ont l'air de policiers. J'entends mon mari dire en créole : « Mesyeu, madanm mwen ! » Nous montons dans leur voiture je ne sais trop comment. Une Mitsubishi Montero DID Limited rouge grenat « two toned ». « Cheri, yo pran nou », il acquiesce d'un signe de tête et me prends la main. Je vois un de leurs complices monter à bord de notre voiture. Nous partons à vive allure, et faisons demi-tour sur l'autoroute.
_ « Por donde vamos ? »
_ « Carcel de policia, si no hay droga no hay problema ? »
_ « Senor que droga ? soy con mi esposo... ».
Nous croisons une patrouille de police. Panique ; l'un de nos ravisseurs traverse depuis le siège avant et se place à côté de moi en nous immobilisant de son bras gauche.
Nous sortons de l'autoroute ; j'entends mon mari leur demander s'ils vont nous tuer. Ils disent que non. Il continue : « Tenemos un hijo, tiene 18 meses ». Ils lui crient de se taire. Je fonds en larmes. Je ne veux pas mourir, je veux élever mon fils. « Perdio mi hermano durante el terreno... mi madre no puede. » Je ferme les yeux lorsqu'il me braque le front de son pistolet.
« Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. » Ces Dominicains doivent bien croire en quelque chose non ? « Callate ! Silencio ». Mon mari me prie des yeux de me taire. J'obtempère, mais continue de prier en silence.
La pendule de leur voiture indique 10h45. Nous nous éloignons de plus en plus de la civilisation. Il fait nuit noire et nous n'avons croisé de voiture ni de personne depuis au moins dix minutes. Et nous roulons supervite.
_ « Seigneur, donnez-moi le courage de supporter ce qui va m'arriver. Faites en sorte que rien n'arrive à mon mari, que mon fils ait au moins un parent. ».
Je pense à mon petit garçon. Qui prendra soin de lui ? Il doit dormir à cette heure. Se souviendra-t-il de moi ? Je n'ose pas penser à mes parents. « Seigneur, épargnez mon mari », Je ne me vois pas annoncer de mauvaise nouvelle à ma belle-mère. Je pense à ma mère, à ma belle-mère, à mon père. Mon mari me confiera par la suite qu'il a passé le trajet à se dire qu'il saurait enfin à quoi ressemble la mort. A se demander comment il mourrait.
_ « Entiendo lo que pasa » ; la voix de mon mari s'est raffermie.
_ « Y que pasa ?!? » l'autre, le ravisseur à ma droite s'énerve.
J'appuie mon mari: « Cuanto ? »
_ « Cuanto dinero tiene ? » Continuer >
Mon mari prend la conversation en main. Son espagnol m'impressionne. Il leur dit que son argent est dans notre voiture. C'est là qu'ils nous font remarquer que notre voiture « la jeepeta » nous suit.
_ « Zanmi tiene goud ? ». « Y la mujer ? »
Il répond que je n'ai pas d'argent. C'est faux, il le sait. Il me protège. J'ai peur que ce mensonge ne nous coûte la vie, ou qu'il énerve nos ravisseurs.
_ « Que quiere senor ? »
_« Cuanto dinero tiene », répète-t-il.
Je lui dis que j'ai de l'argent, que mon mari ne savait pas. Que c'est son anniversaire et que je voulais lui acheter un cadeau. C'était une surprise.
_ « Feliz cumple » ; le chauffeur parle pour la première fois ; jusque-là, il s'était contenté de chanter au son de la radio. Quel culot quand même.
Nous nous arrêtons enfin. Celui assis à ma droite descend. Le chauffeur aussi. « Chéri, si on doit mourir aujourd'hui ... » les mots me manquent. Il me regarde et me tient la main. Ils le font descendre de la voiture. Je le suis. On m'en empêche.
_« Senor es mi esposo, es mi vida. »
Le ravisseur me fixe droit dans les yeux et me rassure: « No voy a matarte, no vamos a matarle ; te vas por el guagua, la jeepeta. »
Ils vident ma voiture. De leur voiture étant, je vois passer le couvercle de mon pneu de rechange. Les sacs en plastique contenant nos provisions pour la route... un sandwich à moitié mangé. J'ai honte pour eux. Je vois passer nos bagages. Mon mari revient. Je descends. Ils nous font remonter dans leur voiture et me font signe de donner ma montre.
Mon alliance et ma bague de fiançailles. Même mes bijoux de fantaisie. L'alliance de mon mari. La chaîne que sa grand-mère lui a offerte et qu'il n'enlève jamais. Les boucles d'oreilles qu'il m'a offertes. L'un d'entre eux vide mon sac. Poche par poche. Méticuleusement. Il fait signe à mon mari d'ôter ses chaussures... il les prend... Tout se déroule dans un silence profond. Comme si le temps s'était arrêté. Il prend des pièces de cinq gourdes. J'ai tellement pitié de lui que mes larmes se remettent à couler.
Ils nous font redescendre. Mon mari demande : « Pasaportes ». On lui tend les passeports et son portefeuille. Ils nous ont aussi laissé mon sac à main, mon portefeuille et nos cartes de crédit.
Je vois briller le porte-clés que ma tante m'avait offert. Ils veulent jeter les clés dans la rivière. Un d'entre eux s'interpose et les prend. Il crie à mon mari « Mira ! » Il répète « Mira ! » Il éclaire les buissons de sa lampe de poche, lance les clés dans le rayon lumineux. Il nous fait signe que nous ne sommes plus de sa responsabilité et part en courant vers la Montero où l'attendent ses complices.
Nous récupérons les clés et remontons dans notre voiture. Vidés, épuisés, cassés, mais vivants.
Nous apprendrons par la suite que le week-end d'avant, deux familles avaient subi le même sort, dans la même zone. Le staff de l'hôtel à qui nous racontons nos déboires n'a pas l'air particulièrement surpris. Ni outré. La police appelée sur l'heure, non plus. En même temps, ils ne prennent ni déposition, ni signalement du véhicule ou des agresseurs. J'entends un des policiers parler au téléphone pendant que mon mari s'évertue à faire comprendre à son collègue ce qui nous est arrivé: « si, si, Haitianos ».
Nos représentants en République Dominicaine qui nous ont accompagnés et aidés à porter plainte le lendemain nous ont confirmé que de nombreuses attaques similaires se sont produites récemment. Je me dis que si j'avais cette information, j'aurais peut-être choisi de prendre l'avion. Ou de partir ailleurs.
Depuis la nôtre, au moins deux autres attaques ont eu lieu, entre Bani et San Cristobal, dont une impliquant la même Mitsubishi.
Une rescapée
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