Entretien. Ancienne ministre de la Culture du Mali, l’essayiste Aminata Dramane Traoré voit dans l’instabilité ayant gagné le pays la conséquence directe de l’intervention militaire occidentale qui a précipité la chute du dictateur Kadhafi.
Quel est le lien entre le coup d’État militaire au Mali et la guerre opposant l’armée aux rebelles touareg dans le Nord ?
Aminata Traoré. Le Mali est d’abord confronté au contrecoup de la guerre en Libye. Nous avons connu, par le passé, plusieurs rébellions touareg. Celle-ci est la plus puissante, du fait de l’armement provenant des arsenaux libyens. Les pays du Sahel paient cher, aujourd’hui, les conséquences de cette guerre dont on n’entend plus parler. Personne ne veut des dictatures. Mais, pour « sauver » les populations de Benghazi, fallait-il exposer des millions de personnes d’Afrique de l’Ouest à l’instabilité et la violence ? Cette rébellion lourdement armée fait face à une armée nationale sous-équipée, peu familiarisée avec le terrain, sur un territoire immense. Des soldats sont massacrés. D’où l’indignation, en premier lieu, des mères et des épouses des jeunes qui partent dans ces conditions, sans véritables moyens de se battre. Ce sont elles qui ont mis la pression, en descendant dans la rue avec leurs enfants, en allant voir le président,
en s’adressant à l’armée. Ce fut un déclic.
Le retour au dialogue avec les rebelles touareg du MNLA est-il encore possible ?
Aminata Traoré. Le dialogue est toujours possible. Toute guerre doit se finir un jour. 200 000 innocents sont aujourd’hui poussés, dans le Nord, sur les routes, cherchant refuge dans d’autres pays qui ne sont pas équipés pour les accueillir. C’est d’autant plus grave qu’une crise alimentaire vient se greffer sur cette crise politique.
Les militaires qui ont déposé le président
Amadou Toumani Touré assurent vouloir
remettre le pouvoir aux civils. Les croyez-vous ?
Aminata Traoré. Je n’en sais rien. Amadou Toumani Touré lui-même avait fait la même chose après le renversement de Moussa Traoré en 1991. Il a rendu le pouvoir aux civils, avant de revenir par les urnes. La question qui se pose est moins celle de l’alternance que la celle de la possibilité qui sera donnée aux peuples d’Afrique, au peuple malien, de débattre des vraies questions.
Quelles sont ces «vraies questions» ?
Aminata Traoré. Nos pays sont surendettés, placés sous la tutelle du FMI et de son ajustement structurel, avec des centaines de milliers de jeunes diplômés sans emploi, qui ont le choix entre l’émigration et la rébellion. On ne peut pas considérer la crise que traverse aujourd’hui le Mali comme une crise africaine de plus, sans établir de lien avec l’intervention de l’Otan en Libye, avec la crise systémique qui sévit chez vous, qui sévit chez nous depuis longtemps déjà. Nous vivons sous le régime de guerres locales découlant de la guerre globale que le système capitaliste a déclarée aux peuples du Sud. Nous sommes censés gérer les conséquences de cette situation gravissime en restant collés aux questions d’élections, de transparence des urnes. Alors que nos chefs d’État, dictateurs ou démocrates, sont tous inféodés à la France.
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