Monsieur le Préfet,
Il y a seulement quelques semaines , en France, en Europe, aux Etats-Unis, on a brandi le principe de précaution, pour inciter toutes les femmes qui avaient bénéficié d’une prothèse mammaire PIP à les faire retirer, le risque si minime soit il de cancer mammaire n’étant pas nul, « même s’il n’était pas prouvé. »
Vous comprendrez, Monsieur le Préfet, notre stupéfaction en constatant que ce même principe de précaution, n’ait pas prévalu en réponse à notre demande d’arrêt du produit BANOLE dans l’épandage aérien, produit cette fois, connu, depuis les années 2000 pour sa cancérogénicité avérée. Faut il croire, que le risque infime, généré par la concentration d’impureté à base d’hydrocarbure aromatique, de l’ordre du milliardième, hydrocarbure dont la toxicité n’a jamais été remise en cause, pourrait être supporté par les français vivant en Martinique ? Cette opinion pour le moins étrange semble partagée par le Directeur de l’Agence Régionale de SANTE, cosignataire de votre courrier.
Alors donc que sur l’ensemble du territoire français la Santé des hommes a prévalu sur l’économie, ici en Martinique, sur une partie de ce même territoire français, la banane, ou du moins la filière banane, semble plus importante à vos yeux et à ceux des responsables de notre santé que l’être humain.
Nous en prenons acte et le signifierons comme il se doit à la population martiniquaise.
Pour ce qui est de l’argumentation développée dans votre courrier il y a de nombreux éléments avec lesquels nous sommes en désaccord profond avec vous et avec le Directeur de l’Agence Régionale de la Santé.
1/ Vous nous dites que nous nous basons « sur des propos tenus par l’un des participants à une réunion de la Région. » A cette réunion siégeaient trois médecins qui chacun à un titre divers avait déjà souligné la dangerosité des produits, avant même l’arrivée en réunion de ce chef de service qualifié de la CGSS .Tous les médecins connaissent en effet la toxicité des dérivés du pétrole pour les cellules sanguines. toxicité des polluants organiques persistants tels les hydrocarbures aromatiques polycycliques contenus dans le BANOLE .Les fortes doses entrainent une toxicité aigue avec possibilité de mort ce qui est bien indiqué dans la fiche technique du produit , et les faibles doses entrainent des mutations épi- génétiques première étape de la cancérogénèse. L’ingénieur sanitaire de la CGSS présente, n’a fait que conforter notre sentiment en y apportant des références, que d’ailleurs nous avons retrouvées sur le site du Parlement Européen .Nous sommes d’ailleurs totalement solidaires de cette responsable de la prévention au Travail dont la conscience professionnelle exemplaire l’incite à rechercher la protection maximale des ouvriers et des ouvrières agricoles.
2/ Vous nous dites que le numéro CAS correspond à « un ensemble générique d’huiles de paraffine auquel appartient le BANOLE. »Nous n’avons retrouvé cette notion d’immatriculation d’ensemble nulle part. Bien au contraire, toute notre documentation fait état d’un numéro CAS ou CE ou EINECS affecté à une substance chimique bien ciblée, dont les noms de fabrication peuvent changer en fonction des producteurs. « Le CAS assigne ces numéros à chaque produit. » Wikipédia, « Vu que les produits chimiques ont souvent différents noms presque toutes les bases de données de molécules actuelles permettent une recherche par numéro CAS. »
Selon la réglementation européenne du 18 décembre 2006. : « Tout produit chimique même dilué même sans impureté doit être classé. »
Le règlement du Parlement européen de 2008 classe également ce produit dans la liste I b de l’annexe II des produits cancérigènes avérés.
3/ La lecture attentive de la liste des produits connus comme cancérigènes éditée par de l’Institut National de la Recherche Scientifique, montre plusieurs huiles de paraffine dotées chacune d’un numéro d’immatriculation différent. Le BANOLE lui-même n’avait pas le même numéro en 2004 quand il était un distillat lourd de pétrole,( CAS 64741-76-0 ) qu’en 2011 où il est devenu un distillat moyen (CAS 64742-46-7 ) , hydrocraquage de pétrole. Ce numéro comme le numéro CE sert bien selon nous, à identifier une substance précise et non un groupe générique.
4/ Vous nous dites que « la présence potentielle d’impureté toxique de ce type d’huile justifie le classement cancérigène de type 1b ».Nous parcourons la documentation technique du produit et nous constatons qu’à la rubrique IMPURETE rien n’est écrit.
5/ Le raffinage spécifique du BANOLE garantit des teneurs infinitésimales en impuretés toxiques. Ce sont justement ces teneurs infinitésimales qui en font toute la gravité ; car ce sont ces petites doses répétitives de polluants organiques persistants, tels les hydrocarbures aromatiques polycycliques, qui agissent chez l’embryon et l’enfant en bas âge comme perturbateur endocrinien et comme agent cancérigène .Il y a des ouvrières agricoles dans les plantations de bananes qui peuvent bien être enceintes au moment de l’épandage .
6/ Le BANOLE est dites vous « non classé aujourd’hui dans la catégorie cancérigène malgré son référencement CAS. »Il n’y a pas que le site européen E S I S qui le classe dans la catégorie I b cancérigène avéré, les Commissions européennes du 18 décembre 2006 et de 2008 le confirment dans leurs annexes. Ce produit issu du gazole est donc bien connu pour ses effets toxiques cancérigènes.
Quoi qu’il en soit, le doute et les incertitudes éventuelles sur le produit, doivent selon nous, profiter à l’être humain et pas à l’agriculture. Ceci d’autant plus que la population martiniquaise paie déjà un lourd tribut à tous ces produits chimiques dits phytosanitaires qui polluent ses sols depuis 40 ans, ce que n’ignore pas le Directeur de l’Agence Régionale de Santé.
L’incidence standardisée du cancer de la prostate qui ne cesse d’augmenter nous met en première place sur la scène mondiale avec 170 cas pour 100.000 habitants en 2008 contre 127 cas en 2000. En Martinique aujourd‘hui on enregistre pas moins de 500 cas de cancers de la prostate par an dont 125 décès .Le pourcentage de diabète de type II , d’obésité , d’hypertension artérielle ,de toutes ces maladies environnementales est deux fois supérieur en Martinique qu’en Métropole Nous sommes déjà aujourd’hui dans une situation de catastrophe sanitaire .Vous y ajoutez un produit supplémentaire qui se retrouvera dans notre eau de boisson, nos fruits et légumes, nos poumons .Nous pensons pour notre part qu’il est temps d’arrêter de mettre en jeu la santé actuelle et à venir des populations.
7/ En conclusion, dites vous « il n’est pas envisagé d’interdire le produit ». Sachez, Monsieur le Préfet, que nous nous désolidarisons totalement de votre décision et que nous renouvelons solennellement notre appel à la prudence, en sollicitant l’arrêt des produits d’épandage.
La population martiniquaise est témoin que le corps médical, conformément au Serment d’Hippocrate et au Code de Déontologie, a alerté les Autorités et tout particulièrement les responsables de leur santé. Libres à eux de tenir compte ou non des informations fournies. Veuillez agréer nos salutations les meilleures.
Dr Josiane JOSPELAGE
La Présidente de l’AMSES,
Dans votre fort intéressant billet, vous commettez une malheureuse petite erreur de fait. Au point 3, vous mentionnez l'Institut national de la recherche scientifique. Vous faites très certainement allusion à l'INRS, mais à celui, 100% français, qui est l'Institut national de recherche et de sécurité. L'autre INRS (Institut national de la recherche scientifique, www.inrs.fr) est un institut de recherche et d'études supérieures affilié à l'Université du Québec au Canada (www.inrs.ca).
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