Durant la guerre américaine au Viêt Nam, le premier épandage d’agent chimique se déroula le jeudi 10 août 1961, dans la province de Kontum, située au centre du pays. Il s’agissait d’un ultime test. Prélude à l’Operation Ranch Hand qui débutera quelques mois plus tard : la plus grande guerre chimique de toute l’Histoire de l’humanité. L’Agent Orange avait pour but la destruction de la forêt tropicale afin d’empêcher les indépendantistes vietnamiens de se cacher et d’évoluer sous son couvert végétal, mais aussi anéantir et empoisonner les ressources vivrières dans le but d’affamer les combattants et la population censée nourrir et renseigner la résistance.
L’année dernière, le 10 août 2010, la Vice-présidente de l’Assemblée nationale du Viêt Nam, Madame Tong Thi Phong, déclara que son pays comptait 4 millions de personnes contaminées par l’Agent Orange.
Encore largement ignorées, les effroyables conséquences sanitaires et environnementales de cette guerre chimique sont néanmoins d’une actualité brûlante. Pourtant si la dioxine contenue dans l’Agent Orange parvient un demi-siècle plus tard à traverser le placenta des mères vietnamiennes donnant naissance à des enfants aux formes inhumaines, l’information sur l’utilisation et la persistance de cette substance, elle, ne parvient toujours pas à percer le bouclier des « grands médias conventionnels ».
Espérons que la date symbolique du 10 août 2011 (Journée des victimes de l’Agent Orange) sera l’occasion pour eux de tenir le rôle qui leur incombe, celui d’en parler réellement, régulièrement et d’une manière approfondie permettant d’alerter l’opinion publique afin qu’un jour justice soit rendue.
Il est capital que l’utilisation de cet « herbicide », expérimenté secrètement durant des décennies pour le métamorphoser en Arme de Destruction Massive (ADM) chimique, soit pleinement dévoilée et expliquée au public par nos chaînes de télévision, une façon pour elles d’échapper à l’insignifiance d’une arme de distraction massive.
Cependant, l’honnêteté oblige à reconnaître que des journaux, radios et chaînes de télévision commencent à aborder le sujet. D’ailleurs, comment un média aurait-il l’impudence d’ignorer des millions de victimes tandis que la plus grande partie de l’espace informationnel resterait consacré à des évènements qui n’en sont pas ?
Le Viêt Nam déploie beaucoup d’énergie pour faire connaître et comprendre à l’opinion publique internationale les conséquences de l’Agent Orange, l’existence de ses centaines de milliers de petites victimes innocentes puisque nées plusieurs générations après la guerre. Qu’ont-elles fait pour ne pas recevoir la moindre page d’empathie sur les dépêches des agences d’informations si promptes à ressasser les frasques glauques de notre gotha ? Une deuxième conférence internationale aura lieu les 8 et 9 août prochains à Hanoi. Elle réunira 150 délégués dont 80 étrangers, victimes, scientifiques, et représentants d’organisations internationales voulant une application non sélective du droit international.
Les États-Unis d’Amérique n’ont jamais reconnu leur responsabilité. Pourtant l’Académie nationale des Sciences de Washington a établi une impressionnante liste de maladies liées à l’Agent Orange (reconnaissance exclusivement valable pour les vétérans US…), et cette lugubre recension augmente sans cesse au fur et à mesure des années qui passent. Le Rapport Stellman (du nom de la scientifique états-unienne Jeanne M. Stellman) indique que jusqu’à 4,8 millions de Vietnamiens furent directement exposées à l’Agent Orange dans les villages au sud du Viêt Nam. L’hydrologie étendra le champ funeste du poison qui s’introduit dans la chaîne alimentaire. Aujourd’hui arrive la quatrième génération et les dégâts sanitaires sont toujours là, catastrophiques.
Les victimes vietnamiennes intentèrent des procédures aux USA : toutes débouchèrent sur un déni de justice.
Actuellement s’opère un rapprochement entre les USA et le Viêt Nam à propos de ce crime. Un groupe de discutions vietnamo-états-unien a préconisé une aide de 300 millions de dollars étalée sur 10 ans (soit 30 millions de dollars par an), tandis que dans le même temps le budget prévisionnel 2010 états-unien pour ses seuls vétérans malades contaminés par l’Agent Orange dépassait les 11 milliards de dollars… Les vétérans US contaminés et malades sont aujourd’hui environ 200 000, tandis que les Vietnamiens sont des millions, condamnés à vivre sur une terre empoisonnée. De plus, il ne suffit pas de porter assistance aux victimes vietnamiennes mais aussi de décontaminer le territoire. Il se trouve qu’aucune technique connue à ce jour ne permet cela à l’échelle d’un pays.
Alors on a identifié des « points chauds ». Loin de prendre en considération les millions d’hectares qui ont été aspergés (parfois à 10 reprises et plus), on dénombre 28 « points chauds ».
Ensuite, voici que seulement 3 d’entre eux sont pris en considération (faut dire qu’ils battent tous les records du monde) comme étant très hautement contaminés. Il s’agit d’anciennes bases américaines : Bien Hoa, Phu Cat, Da Nang. Pour finir, cette déclinaison nous conduit à Da Nang. En effet, après maints pourparlers, un projet de décontamination doit y démarrer cet été 2011. Même s’il s’agit d’une « pierre de touche », pourquoi décontaminer seulement l’ancienne base militaire US de Da Nang ? On apprend, non sans étonnement, qu’une coopération militaire entre les USA et le Viêt Nam est envisagée, voire engagée. Où se trouve l’intérêt commun aux deux pays ? Nous devons le chercher du côté de la Chine. Ce grand pays est source d’inquiétudes communes entre les deux anciens ennemis. Or, Da Nang est le seul port en eaux profondes pouvant recevoir les navires de l’US Navy. Doit-on simplement comprendre que les États-Unis veulent occuper cette position stratégique sans risquer de contaminer une nouvelle fois les leurs, s’appuyant sur ses anciennes victimes pour y parvenir… afin d’en guetter d’autres ?
Au mois de mai dernier, deux vétérans états-uniens révélèrent que l’US Army avait enterré en 1978 un stock d’Agent Orange (environ 50 000 litres) dans la base militaire US de Camp Carroll, à Chilgok, situé à 300 km au sud-est de Séoul, en Corée du Sud. Un autre ancien combattant US a déclaré qu’il avait participé en 1963-64 à l’enfouissement de « produits chimiques » à Camp Mercer, situé à Bucheron, près de la capitale sud-coréenne. Ceci nous rappelle que si l’Agent Orange fut utilisé pour commettre sciemment un écocide durant la guerre américaine au Viêt Nam, il fut aussi utilisé au Laos et au Cambodge. Les soldats US eux-mêmes, tout comme leurs alliés sud-coréens, new-zélandais, australiens, thaïlandais, furent contaminés. Bien entendu cette substance infecta largement les lieux où elle fut fabriquée, non seulement aux États-Unis mais aussi en Nouvelle-Zélande, ainsi que les endroits où elle fut stockée, comme aux Philippines ou sur l’Île Johnson dans l’océan Pacifique avant d’être incinérée en haute mer, sans oublier les innombrables endroits autour de la planète où elle fut abondamment expérimentée pour sa mise au point.
Par ailleurs, il est utile de savoir que l’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique, contenu pour moitié dans l’Agent Orange, est le composant chimique qui génère la dioxine 2,3,7,8-TCDD (tétrachlorodibenzo-para-dioxine) responsable de toutes sortes de cancers, de maladies systémiques, et d’effets tératogènes sur les nouveau-nés. Bien que dilué de 30 à 60 fois dans son utilisation civile, il fut violemment utilisé par l’agriculture intensive, collectivités territoriales, compagnies d’électricité, de chemin de fer et d’autoroutes, comme dans la gestion des forêts, et cela jusqu’à la fin des années 80 dans le monde entier.
Oui, l’Agent Orange est responsable d’une contamination intercontinentale.
André Bouny, constitue et conduit le Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange (CIS)
Auteur du livre « AGENT ORANGE – APOCALYPSE VIÊT NAM », 2010, aux Éditions Demi-Lune, Paris.
P.S. Suite à la lecture de ce livre, Stéphane Hessel, Jacques Perrin, et Henri Alleg viennent de rejoindre leCIS.
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